Dans nos sociétés si modernes et si démocratiques, nous n'avons plus de censure, mais tout le monde n'a pas la même voix au chapitre. Il s'agit dans un flot d'informations continu et multicanal de hiérarchiser et de créer les conditions pour que certains puissent être entendus par le plus grand nombre et dans les meilleures conditions, surtout s'ils n'ont rien à dire.
Prenons l'exemple de deux interventions médiatiques qui ont eu lieu ce week-end et qui illustrent parfaitement cette thèse.
La première, est celle de Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle pour le Front de Gauche, invité sur le plateau de l'émission « On n'est pas couché » de Ruquier. Si ce talk-show n'est pas ce qui se fait de pire en la matière, notamment parce que Ruquier case en général un invité politique à qui il laisse du temps même, il faut quand même se coltiner 45 minutes de mauvaises blagues, puis la promo de tous les invités de la soirée, avant que l'interview démarre. Donc vers minuit, Mélenchon a pu s'exprimer devant un peu moins de 2 millions de téléspectateurs. Mais même avec un temps de parole important, il n'est pas facile de poursuivre un raisonnement jusqu'à son terme : les deux remplaçantes de Naulleau et Zemmour, Audrey Pulvar et Natacha Polony doivent se mettre en avant et malmener l'invité ; les autres invités ne sont pas en reste pour donner leur avis avec en prime ce soir-là, l'inusable laudateur du capitalisme, François de Closets. Malgré ces tirs croisés, Mélenchon s'en est bien tiré, réussissant même à expliquer de manière très pédagogique le système de financement des États et le rôle parasitaire que jouent les banques privées dans ce circuit. Reste que le ton de cette émission n'est pas à la hauteur des enjeux politiques de la période et qui si cela permet tout de même de toucher un public important, on peut difficilement faire avancer ses idées et y convaincre les téléspectateurs.
La deuxième émission du week-end est à l'exact opposé : DSK a été invité à s'exprimer pendant 25 minutes au journal de 20h de TF1. C'est donc 13 millions de spectateurs qui n'auront rien appris de nouveau, à part que DSK est encore traité, par les journalistes, quasi comme un Président de la Ve République : questions connues à l'avance, pas de relance de la part de Claire Chazal malgré les réponses évasives, aucune contestation quand DSK, à de nombreuses reprises a fait valoir la plaidoirie du Pocureur comme une preuve qu'il n'y avait rien fait de condamnable, pas de demande de précisions quand il évoque u possible piège, et pour couronner le tout et tenter de démontrer que tout cela est derrière lui, Claire Chazal passe du coq à l'âne en l'interrogeant sur la crise financière ! Bref, une complaisance comme seuls les puissants savent l'organiser entre eux.
Ces deux émissions sont le symptôme d'un système médiatique qui continue, malgré les apparences de pluralité, de tenter de modeler l'opinion. C'est à l'aune du traitement médiatique que l'on voit comment le système crée et sélectionne les candidats « crédibles et ayant une stature d'homme d'État », et comment il relègue en arrière-plan ceux qui contestent l'ordre établi.
Mais ce système médiatique est lui aussi en difficulté : DSK n'aura convaincu pratiquement personne et les grands médias télévisuels sont concurrencés par des sites internet d'informations de qualité qui redonnent toutes leurs places aux enquêtes journalistiques…
Faisons un rêve : un jour, nous aurons peut-être un week-end médiatique qui verra DSK subir les blagues de Ruquier sur ses affaires de moeurs, pendant que Mélenchon fera un 20h pour évoquer la crise financière et les solutions de gauche qu'on peut lui apporter.
Ce jour-là, les médias seront au service du débat citoyen.