mercredi 12 juin 2013

Comprendre l’attaque 2013 contre les retraites


Mardi 11 juin 2013
Par Évariste
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Comprenons d’abord qu’elle s’inscrit dans le droit fil des attaques ordolibérales que nous connaissons depuis le tournant de 1983. Mais ce trentième anniversaire le premier où tous les secteurs de la protection sociale (santé, famille, retraites, droit du travail, etc.) seront touchés et amoindris. Par ailleurs, cela se fera avec une violence inouïe compte tenu de l’importance des reculs sociaux opérés, et du fait que la droite et l’extrême droite sont en mutation culturelle (on l’a vu avec la vigueur des mobilisations contre le mariage pour tous) dans la voie d’un durcissement réactionnaire rarement atteint en France. Cette évolution redonne de la pertinence à l’analogie avec les années 30.
Malheureusement, la gauche solférinienne, qui tient le cap du progrès dans les domaines sociétaux (avec notre soutien sur ce point…), est sur les questions économiques et sociales complètement gagnée aux intérêts du patronat et de l’oligarchie.
Elle nous fait croire que le fait de passer d’un ratio de 6 retraités pour 10 actifs à un ratio de 9 retraités pour 10 actifs oblige à augmenter le nombre d’annuités. C’est comme si la diminution par 10 du nombre de paysans et la multiplication par 2,5 du nombre de bouches à nourrir nous emmenaient à la famine. Eh bien, non ! Tout simplement par ce que la production de nourriture a été augmentée d’un rapport beaucoup plus fort encore. Pour les retraites comme pour la nourriture, ce qui compte, ce n’est pas le rapport des actifs et des retraités mais le rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités d’une part et la production de richesse d’autre part. Or ce rapport, la productivité du travail, est en France le plus élevé dans le monde.
Le gouvernement solférinien nous enfume ! En prenant les chiffres du COR, en 2050, le salaire moyen global (en globalisant les retraites et les salaires) serait plus de 60 % plus élevé qu’en 2010. Le problème est donc la répartition des richesses que l’oligarchie ne veut pas changer ! Et même si on table sur un développement des richesses moins importante, il suffit d’une augmentation de 18,75 % pour maintenir le salaire moyen global (retraites comprises). Or moins la croissance est forte, plus il faut réformer le partage de la valeur ajoutée au profit des salariés.

Dans quels termes poser la question

Beaucoup de discours d’intellectuels ou de responsables politiques de la « gauche de la gauche » sont des discours inopérants. Pourquoi ? Ils développent l’idée que la politique suivie par nos gouvernants est mauvaise (sous-entendu pour résoudre la crise !) et que tout pourrait être réglé par une mesure et une seule. En fait, d’après eux, il suffirait de les écouter, d’appliquer la mesure miracle et nous serions dans le nirvana politique. Bien sûr, chacun d’entre eux a une idée de mesure simple, spécifique, singulière (la fameuse cacophonie des différentes « prééminences surplombantes ») qui résoudrait tous les problèmes et aurait comme par enchantement un effet d’entraînement immédiat sur tous les autres domaines.
En réalité, ils essayent d’esquiver aujourd’hui les deux questions centrales à savoir :
- que les couches populaires (ouvriers et employés représentant 53 % de la population française) ne sont pas globalement convaincues de l’utilité de voter Front de gauche et n’utilisent ce vote Front de gauche qu’en 5e choix (après, dans l’ordre, l’abstention, le vote FN, le vote PS et le vote UMP) ;
- que le niveau atteint par la crise systémique du modèle politique ordolibéral ne demande pas de se persuader de prendre la simple et bonne mesure qui entraînerait toutes les autres mais bien de commencer à penser la complexité et la nécessaire globalisation des combats et donc des mesures politiques conséquentes pour produire un nouveau modèle politique alternatif. Et dans ce cas, l’efficacité demande d’articuler dès aujourd’hui les politiques de temps court et les politiques de temps long.
Notre analyse conclut qu’il faut passer aujourd’hui de « la gauche de la gauche » à « la gauche de gauche » au sens de Bourdieu. Comment ? En considérant que nos gouvernants ne font pas une mauvaise politique mais font une excellente politique qui va à court terme de réussite en réussite… dans l’intérêt de l’oligarchie ! Notre proposition consiste donc à remettre au poste de commande non pas une solution technique ou économiciste qui entraînerait le nirvana politique mais la lutte des classes qui est et reste… le moteur central de l’histoire.
Nous sommes entrés dans une contradiction principale antagonique entre les intérêts objectifs des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population française pour ces dernières) d’une part et l’oligarchie d’autre part. Il ne peut plus y avoir de compromis dynamique de type fordiste ou social-démocrate lorsque nous sommes dans une contradiction de type antagonique. La guerre sociale est donc l’horizon de la politique menée par l’oligarchie. Voilà pourquoi il vaut mieux se préparer à des situations chaudes que de proposer des solutions techniques et économicistes réalisées à froid. C’est la globalisation des combats (sans en oublier un seul !) qui est à l’ordre du jour. Ou, dit autrement, ce qui est à m’ordre du jour c’est un nouveau modèle politique, culturel et social et non l’application d’un précepte technique ou économiciste dans le cadre actuel du capitalisme.

Les intentions proclamées

La compilation des douze rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui se sont succédé depuis moins de 20 ans permet de mesurer la constance et l’opiniâtreté des dirigeants ordolibéraux de droite et de gauche. A chaque alternance, malgré les changements de personnes au sein du COR, les douze rapports vont dans le même sens.
Une fois encore, appliquant la stratégie de la « société du spectacle », le gouvernement jette une poudre aux yeux dont les ingrédients sont :
- la volonté du retour à l’équilibre, à la fois rapide et durable, en jouant sur la durée d’activité, le niveau des ressources, le niveau relatif des retraites ;
- l’objectif de rendre le système plus juste, en particulier du point de vue des femmes, des carrières courtes, de la pénibilité ;
- la volonté d’assurer la cohérence entre les régimes.
En fait, les dirigeants de la gauche solférinienne ont intégré l’oligarchie et ne diffèrent de la droite néo-libérale que pour les questions sociétales et sur la marque de la poudre aux yeux proposée pour faire passer la pilule ! Leur véritable objectif n’est pas de s’appuyer sur une analyse des besoins utiles, nécessaires et finançables (par une reformation du partage de la valeur ajoutée), mais de diminuer la protection sociale solidaire (ici les retraites), en diminuant le montant des retraites, soit par allongement de la durée de cotisation, qui ne fera qu’augmenter le chômage et réduire les pensions, car la majorité des salariés de plus de 55 ans sont déjà sans emploi, soit en diminuant directement le montant nominal des retraites. Qui peut croire à l’objectif annoncé de rendre le système plus juste ?

La régression du droit social

Sur le plan théorique, la contre-révolution néo-libérale consiste à faire baisser le coût du travail, c’est-à-dire les salaires. Dans l’impossibilité politique (pour l’instant) de s’attaquer au salaire direct, elle s’attaque au salaire socialisé et s’attache donc à faire régresser le champ du droit social (celui qui regroupe les prestations universelles dépendantes des droits politiques et sociaux pour tous, comme le remboursement assurance-maladie, les allocations familiales, les pensions à prestations définies, etc.) au profit de deux champs privés, à savoir le champ du privé lucratif et celui de l’assistance aux pauvres (emprunté à la doctrine sociale de l’Eglise). Dans toutes nos conférences publiques d’éducation populaire, nous montrons que le développement concomitant de ces deux derniers champs en France n’a fait qu’augmenter les inégalités sociales de santé et de protection sociale, alors que seul le développement du champ du droit social a permis de les diminuer.
Par exemple, depuis l’instauration de la CMU-C par le gouvernement Jospin, les inégalités sociales de santé n’ont fait que croître alors que pour les faire diminuer, il faudrait un nouveau droit à caractère universel, à savoir l’accès égalitaire aux soins de qualité partout et pour tous avec remboursement à 100 % par la Sécurité sociale.
On comprend par là comment une partie de « la gauche de la gauche » totalement étrangère à « la gauche de gauche » a troqué la nécessaire lutte de classe des exploités contre les exploiteurs pour la lutte des pauvres contre les riches, chère à la doctrine sociale de l’Eglise. Cette mutation permet au turbocapitalisme actuel et à ses thuriféraires de cantonner les « pauvres » dans un statut juridique dérogatoire à la citoyenneté culturelle, politique, économique et sociale.1

L’argument de l’équilibre budgétaire

François Hollande nous a dit qu’il faut parvenir à l’équilibre de la Sécurité sociale sans augmenter les recettes de la Sécurité sociale, et parvenir à supprimer la dette publique en 2017 après avoir dès 2015 mis le déficit public sous la barre des 3 %.
Alors, disons le tout net, il faut supprimer plus de 7 % des dépenses publiques, soient plus de 70 milliards d’euros. Rien que cela ! Mais alors pourquoi les retraites ? Parce que les retraites représentent le quart des dépenses publiques !
Alors que le mouvement réformateur néo-libéral a déjà fait baisser le niveau des retraites de plus de 20 % grâce aux contre-réformes régressives de 1987 et 1993 de la droite et que la gauche solférinienne n’a jamais remises en cause, nous en sommes aujourd’hui à un déficit des régimes de retraite et de chômage de 17,5 milliards d’euros. Selon l’OFCE, la dépression due à la crise représenterait à elle seule 23,5 milliards d’euros (ce qui coûte 5 % des emplois et donc des cotisations, toujours selon l’OFCE). On voit donc bien que l’oligarchie qui est avec une partie importante des couches moyennes supérieures la seule bénéficiaire du système capitaliste actuel et de sa crise est donc directement responsable de ce déficit des régimes de retraite et de chômage.
S’ajoute à cela que les cadeaux fiscaux et sociaux donnés par la droite et la gauche solférinienne à l’oligarchie (on n’est jamais si bien servi que par soi-même) et à la majorité des couches moyennes supérieures, leur ont permis d’avoir des régimes de retraite par capitalisation qui aujourd’hui ont un excédent de 6,8 milliards d’euros.
Combler aujourd’hui le déficit du régime des retraites impliquerait une hausse de 2,2 % des cotisations ou une baisse des prestations de chômage et de retraites de 5,4 %. Tout le monde comprend bien que cela aurait comme conséquence de faire baisser la consommation, donc le PIB, et ferait s’enfoncer notre pays dans une spirale récessive d’austérité de plus en plus forte et sans fin.
Selon les dernières projections du COR  dans son scénario médian B, le déficit actuel de 0,6 % du PIB deviendrait 1 % en 2020 et 0,9 % en 2040. Ensuite, le COR prévoit à terme une baisse arithmétique du chômage, due à l’inversion de la courbe démographique, qui garantirait les retraites qui suivraient. La difficulté étant donc, d’après l’OFCE, principalement conjoncturelle, il n’y a donc pas de quoi alarmer tous les Landernau de France et de Navarre !

Pourquoi nous contestons les hypothèses du COR

Nous sommes partis des prévisions du COR car celui-ci est formé par les économistes choisis par l’oligarchie et par les gouvernements. Donc ceux qui sont soumis à l’idéologie de l’oligarchie et des médias dominants ne peuvent pas en nous lisant contester ce début de discours. Ouf ! Mais en fait, nous sommes incorrigibles et nous contestons :
  • l’hypothèse de croissance de 1,6  l’an en moyenne de 2011 à 2020, parce qu’elle a toutes les chances d’être nulle, au moins jusqu’en 2014 compris ! Il faudrait qu’elle soit ensuite de 2,4% l’an !
  • l’hypothèse de croissance de 1,6 % jusqu’en 2060 en moyenne. L’économie française retrouve durablement la croissance moyenne de 1,6 % avec une hausse de la productivité du travail de 1,5 % par an ; le PIB de 2040 serait de 1,6 fois celui de 2011 ; celui de 2060, 2,25 fois (!) : les contraintes écologiques sont totalement oubliées ;
  • l’acceptation d’une baisse importante du niveau relatif des retraites : le ratio pension moyenne/salaire moyen baisserait de 15,4 % de 2011 à 2040, puisque les salaires réels progresseraient de 1,5 % par an tandis que les salaires pris en compte et les retraites déjà liquidées, le minimum vieillesse et le minimum contributif seraient fixes en pouvoir d’achat. Sans cette baisse, le déficit en 2040 serait de 3,4 % du PIB. En fait, pour le COR, et pour les néo-libéraux de droite et de gauche, les retraites sont la variable d’ajustement implicite du budget.

La question de l’emploi

Les dépenses de retraite correspondent aujourd’hui à 13,8 % du PIB pour des recettes comptant pour 13,2 % du PIB. À noter que sans la crise, les dépenses actuelles ne représenteraient que 12,8 % du PIB, d’après l’OFCE. Retarder l’âge de la retraite ou augmenter la durée de cotisation en période de crise et d’augmentation du chômage, revient d’une part, on l’a déjà dit, à accroître le chômage, puisque aujourd’hui la majorité des seniors de plus de 55 ans sont déjà chômeurs. Et d’autre part, à reporter sur la précarité et le chômage des jeunes le poids de l’augmentation du taux d’emploi des seniors prévue par le COR, et souhaitée par les néo-libéraux de droite et de gauche.
François Hollande répond à cela par le contrat de génération permettant selon lui une aide pour tout tutorat d’un jeune par un ancien dans l’entreprise. Nous prenons date en disant que cela ne fera que développer un effet d’aubaine pour les employeurs, déjà « fortement choyés », sans que cela procure un retour sur l’emploi. Toutes ces gesticulations ordolibérales de la gauche solférinienne n’auront donc que peu d’impact sur le chômage et la précarité, parce que le « système » ne donne des taux de profit élevés que dans la spéculation financière internationale, pour le plus grand intérêt des « employeurs rentiers » qui dirigent le système avec la technostructure néo-libérale.
Son règne sans partage se transpose d’ailleurs au niveau mondial avec la lutte qui oppose les peuples à l’oligarchie de la gouvernance mondiale, formée du patronat multinational rentier, alliée à la technostructure néo-libérale et appuyée par les armées impérialistes.
Voilà pourquoi dans la politique de temps long, la solution alternative réside dans l’articulation globalisée entre :
- une politique de fort développement industriel dans le cadre d’une transition écologique,
- une politique volontariste de développement de la Recherche développement (R&D) industrielle,
- la promotion d’une armée d’entrepreneurs publics et privés allant de pair avec une politique chère à Keynes : l’euthanasie rapide des rentiers,
- le rétablissement d’une volonté politique centrale pour organiser ce virage alternatif,
- de nouveaux droits pour les salariés citoyens dans la démocratie politique, dans la démocratie sociale et dans la démocratie dans l’entreprise,
- le développement concomitant d’une sphère de constitution des libertés (école, services publics, santé et protection sociale) totalement dégagée des lois du marché capitaliste et organisée selon une démocratie sociale qui aille très au-delà des propositions du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944 (« Les jours heureux »)
C’est la concomitance de ces principes (sans en oublier un seul !) qui peut assurer une transition vers la République sociale afin de développer les intérêts bien compris des couches populaires ouvrières et employées et des couches moyennes intermédiaires (soit 77 % de la population française). Pour les couches moyennes supérieures, cela implique de rompre avec l’oligarchie ordolibérale et l’économie rentière pour devenir des cadres salariés insérés dans les nouveaux processus de démocratie dans l’entreprise et même des entrepreneurs strictement dégagés de l’économie rentière, qui pourraient même se concevoir hors du pouvoir actuel de l’employeur.
Le modèle néo-libéral programme une baisse sans fin des retraites et des salaires. La seule question de stratégie politique est de savoir jusqu’à quand les citoyens salariésvont accepter cette évolution régressive. Que ce modèle soit renversé un jour est une nécessité historique.

Caractérisitiques de la phase néo-libérale actuelle

Aujourd’hui, conséquences de la crise structurelle du capitalisme, elles sont les suivantes :
- spirale sans fin des politiques d’austérité par processus continu de déformation du partage de la valeur ajoutée,
- privatisation des profits et socialisation des pertes,
- harmonisation par le bas de l’ensemble de la sphère de constitution des libertés, avec une hargne renouvelée contre le principe de solidarité du secteur de la santé et de la protection sociale - qui est de loin le principal budget humain public ;
- alliance néo-libérale entre l’oligarchie et les communautarismes et intégrismes ethniques, religieux et sociaux.
La spirale sans fin des politiques d’austérité par processus continu de déformation du partage de la valeur ajoutée se réalise d’abord par une baisse relative des salaires et des prestations sociales (dont les retraites), puis, lorsque ce n’est plus suffisant pour la survie du système (et nous y arrivons), par une baisse absolue des salaires et des prestations sociales.
La désindexation des retraites sur les salaires (remplacée par l’indexation sur l’inflation, moins favorable pour les retraites) engagée par Philippe Seguin, ministre dans le gouvernement Chirac 1986-1988, et entrée dans la loi Chirac-Balladur de 1993, est déjà responsable de plus de 30 % de baisse des retraites aujourd’hui.2
Ainsi va l’Europe ordolibérale, qui tente d’augmenter le taux d’emploi des seniors et de diminuer le montant des retraites : les pays à fort taux d’emploi des seniors ont un faible taux de remplacement, et vice versa.
2013 est donc l’année où le gouvernement solférinien a décidé d’adouber la proposition du Medef de sous-indexer par rapport à l’évolution des prix, les régimes ARRCO et AGIRC, c’est-à-dire les retraites complémentaires pour le privé qui concernent la majorité de la population. On sait déjà que le gouvernement s’apprête, dès la publication du rapport Moreau le 14 juin, de faire de même pour les retraites de base de la Sécurité sociale et pour les fonctionnaires et les régimes spéciaux.
Alors que la déformation du partage de la valeur ajoutée fait perdre plus de 180 milliards d’euros par an aux salaires et aux prestations sociales pour que l’oligarchie puisse spéculer dans la finance internationale, ils osent dire qu’il faut baisser les retraites pour que le système puisse fonctionner. Mais ce système n’est pas le nôtre. Ce système ne défend pas notre intérêt.
Voilà pourquoi nous devons nous préparer à soutenir la mobilisation que le mouvement syndical revendicatif est en train de préparer pour la rentrée.
Voilà pourquoi nous devons nous préparer à développer les initiatives d’éducation populaire en soutien au mouvement syndical et social, par la multiplication des conférences interactives, du ciné-débat, du théâtre-forum, des conférences théâtralisées. Nous avions répondu au mouvement social et politique en 2010 par la fourniture de conférenciers pour plusieurs dizaines d’initiatives. Nous sommes prêts à aujourd’hui à tripler la mise et à diversifier les formes de l’éducation populaire.
Trois millions de manifestants ont suffit pour se débarrasser de Nicolas Sarkozy sans nous permettre de bloquer la réforme des retraites. Eh bien là, il va falloir faire plus et plus fort en convaincant le plus grand nombre de nous rejoindre dans cette lutte centrale.
Unifions nos énergies dans cette bataille dès la rentrée de septembre en s’y préparant dès maintenant. Contactez le REP ou ReSPUBLICA !
  1. C’est le développement du communautarisme social tout aussi néfaste que le communautarisme ethnique et religieux ! Alors, où sont les laïques qui pratiquent la prééminence surplombante et qui veulent combattre certains communautarismes, mais pas tous les communautarismes ? []
  2. Henri Sterdyniak précise http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2013/note26.pdf : « Dans les régimes complémentaires, depuis 1996, de nombreux accords entre partenaires sociaux ont déconnecté la valeur du point (qui augmente au mieux comme les prix) et le prix d’achat du point (qui augmente parfois comme les salaires, parfois moins). Finalement, le taux de rendement a baissé de 11,95 % en 1996 à 8,25 % en 2012, soit de 31 %. ». []

dimanche 9 juin 2013

Plongée dans la fabrique des élites

BERTRAND ROTHÉ
Sur quels sujets de culture générale sélectionne-t-on aujourd'hui à HEC, à l'ENA et dans les autres grandes écoles ? "Marianne" y a relevé, en tout cas, quelques superbes perles de la pensée unique : violente, méprisante, ultralibérale.

Remise de diplôme - Facebook
Remise de diplôme - Facebook
C'est le temps des concours. Même quand le printemps n'arrive pas à naître, après deux ans d'un travail d'athlète dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 40 000 étudiants sont aujourd'hui convoqués pour passer à la guillotine du savoir. Parqués dans de grandes salles, ils ont transpiré encre et eau. Aujourd'hui, les écrits sont passés, les oraux sont en cours. Les meilleurs - comprendre les mieux classés - se voient convoqués par les plus grandes des «grandes écoles». Souvent costumés comme pour un mariage, ils se rendent qui dans les ENS ou à Polytechnique, qui à HEC, à l'Essec ou à Sciences-Po. Pendant la sélection, la sélection continue. L'X propose un peu moins de 400 places par an, HEC, 380. 

Mais sur quels sujets de culture générale sont donc choisis les futurs ministres et patrons du privé ? «Sciences-Po se place clairement dans le champ de la compétition internationale», affirme une de ses brochures. «Que faites-vous si vous n'êtes pas pris ?» voilà une des questions fétiches des oraux d'intégration aux masters de la Rue Saint-Guillaume. Pas de pitié pour les losers. En 2010, HEC préparait ses futurs étudiants en les invitant à réfléchir à cette autre question : «La vie est-elle autre chose que le théâtre de la cruauté ?» Les enfants de bons profs et les quelques littéraires que forme encore l'Education nationale ont fait référence au Théâtre et son double, d'Antonin Arthaud. Mais, pour la plupart, les futurs patrons et les traders ont vu là une invitation au cynisme et aux restructurations au sabre «du même Mittal». 

Les écoles de commerce ne cachent pas leur jeu. On sait qu'on est là pour «se préparer à une excellente carrière de cadre supérieur». Ce noble objectif est vanté par les professeurs de spéciales, autre nom des profs de prépa, regroupés au sein de l'UPS (Union des professeurs de spéciales). En 2006, les futurs étudiants de l'Essec ont planché pendant quatre heures autour de ce «to be or not to be» version Alain Minc : «Qu'est-ce qu'un juste salaire ?» Si les candidats, qui rêvent tous de hautes fonctions dans les entreprises, ont défendu comme un seul homme les revenus des patrons «créateurs de richesse et d'emplois», certains des lauréats ont même pensé à remettre en cause le Smic, un salaire administré et surélevé, donc injuste, dont l'effet pervers serait de condamner les plus faibles au chômage. Le même sujet a, du reste, été posé à l'ENA sous une forme certes beaucoup moins vulgaire. Les grands commis de l'Etat n'ont pas encore le parler cash des business schools. 

A chaque école ses traditions 

En 2009, l'épreuve de culture générale de l'ENA invitait ainsi les futurs Moscovici et Attali à se surpasser sur un thème jubilatoire : «Répartition de la valeur ajoutée et performances économiques». Chaque école a cependant ses traditions et ses préoccupations. Parmi les sujets de culture générale destinés à sélectionner les commissaires de police : «Existe-t-il une juste violence ?» ou «La tolérance est-elle l'une des vertus ou l'une des faiblesses de la démocratie ?» En 1999, les futurs commissaires de police ont également été invités à plancher sur «La rue est-elle un ennemi pour la démocratie ?» Depuis un certain temps, la rue et la révolution préoccupent l'ensemble des élites. Ont-elles peur ? En 1998, les énarques s'interrogeaient ainsi sur «l'utilité de la contestation» ou plus récemment sur la révolution comme «phénomène périmé». Il faut dire que, juste après le tournant de la rigueur de 1983 et la conversion définitive des socialistes au libéralisme, l'ENA s'était vite adaptée avec une magistrale citation d'Henry de Montherlant à commenter : «Les révolutions font perdre beaucoup de temps». 

Surprise, la guerre est très présente dans toutes les épreuves de ce genre de concours qui sont certes de vrais champs de bataille. HEC propose ainsi : «Les guerres ont-elles changé de visage au XXIe siècle ?», ou encore «Les vertus militaires conservent-elles une valeur dans les sociétés démocratiques ?» Idem en 2009 pour une question posée dans les instituts d'études politiques (IEP) de province : «Peut-on "civiliser" les manières de faire la guerre ?». A l'ENA, où les Clausewitz se ramassent à la pelle, en 2011, il était proposé «Les démocraties face à la guerre». Beaucoup d'étudiants voient dans la guerre une métaphore de la compétition économique. Dans les forums où ils donnent leur avis, les candidats se laissent aller à parler de «guerres économiques et financières». Certains se rêvent en Napoléon ou en Hannibal de ces multinationales qui s'entredéchirent. Il y a des territoires à conquérir et il y aura des morts sans sépulture, des gueules cassées du libéralisme. A Louis-le-Grand et dans la prépa privée Ipesup, les profs leur ont appris à aimer ce credo. Pourtant, un sujet d'oral d'HEC 2012 aurait dû les titiller : «Les rivalités économiques entre grands pays avant 1914». Trente ans de concurrence internationale sauvage avaient en effet conduit à l'exacerbation nationaliste puis à la Première Guerre mondiale. Neuf millions de morts. 

Jusqu'à la fin des années 80 à Sciences-Po, un sujet sur deux incitait à composer sur l'Allemagne, ce qui enchantait Julien Gracq qui était géographe et germanophile. Le monde a changé. Si nos voisins d'outre-Rhin occupent encore un peu nos étudiants, l'analyse approfondie des sujets les incite désormais à travailler la mondialisation et l'Europe. En histoire, «Pipo» (le surnom péjoratif de Sciences-Po Paris) propose en 2009 : «L'idée d'Europe et ses réalisations de 1945 à nos jours». En 2011, les IEP de province soumettent : «La France et la construction européenne 1957-1992». La palme revient à l'Essec en 2010 qui réunit les deux concepts en un sujet : «Quels rôles pour l'Union européenne dans la mondialisation et le jeu des puissances ?» Comment s'étonner qu'au référendum de 2005 les cadres supérieurs aient voté massivement pour le traité constitutionnel ? Pendant toute leur scolarité, on les a invités à construire des dissertations en mots de catéchisme sur la CEE puis l'Union européenne. 

«Apprendre à oser», proclame HEC ! Mais, pour tenir son rang de meilleure european business school de 2006 à 2011 (selon le classement du Financial Times), l'école de Jouy-en-Josas encadre souvent l'audace par des questions fermées. Quelques exemples tirés des sujets d'oraux de 2011. «Quelles justifications pour les privatisations ?» Interdit de réfléchir, même une seconde, aux conséquences négatives des privatisations ou aux éventuelles justifications des nationalisations. Le créneau du lieu, c'est la formation de sociaux-libéraux à la Hollande. Faut-il rappeler que notre président, Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy, le président partant de l'OMC, sortent tous d'HEC ? En bons étudiants, leur chanson n'a qu'un couplet : les privatisations. DSK en est le champion toutes catégories. Un homme audacieux, dont l'école a longtemps été très fière. Autre sujet orienté : «Mondialisation et bien-être». Evidemment, la conjonction de coordination «et» sert à exprimer une addition, puisqu'il va de soi que les deux marchent ensemble, comme la bielle et le piston. Pendant ce temps-là, à l'école de la vie, chez les ouvriers par exemple, on sait déjà que le «bien-être» dont parle HEC se nomme Pôle emploi et délocalisations. Pour finir, cerise sur le Medef, toujours à HEC, en 2011 : «Le service public a-t-il un avenir en Europe ?» et «L'avenir de la protection sociale en France». Sans avoir fait HEC, vous avez compris que la réponse est cachée dans la question. Evidemment, pas un seul crétin n'a envisagé un avenir radieux au système dans un pays qui n'a pourtant jamais été aussi riche. S'il est sage, l'animal à concours énumère les «nécessaires réformes» : allongement des durées de cotisation, augmentation du ticket modérateur. Les candidats les plus audacieux auront proposé une privatisation de la protection sociale... Trois des quatre plus grosses compagnies d'assurances françaises sont dirigées par des anciens d'HEC. Ah, privatiser le parapluie social ! Le bonheur de Denis Kessler. 

Autres temps, autres mœurs, voici en tout cas un petit chef-d'œuvre d'une époque espérons-le révolue... En 2002, pour préparer aux délocalisations, les élèves de l'Essec eurent ainsi à traiter : «L'industrie a-t-elle encore une place dans l'économie française aujourd'hui ?» 

Attention aux pièges toutefois. En 2011, trois ans après la crise des subprimes, les étudiants des écoles de commerce ont planché quatre heures sur «Les défaillances des marchés financiers justifient-elles l'intervention de l'Etat ?» Une lecture trop rapide du sujet peut vite conduire au hors-sujet. La question est assez insidieuse, le jury ne remet pas en cause le marché. Ouf. La défaillance dont on parle induit une «faiblesse momentanée» ou un «dysfonctionnement». Re-ouf. Impossible d'imaginer que la crise soit consubstantielle aux marchés. L'étourdi qui a envisagé cette terrible vérité n'a eu que 2/20. C'est bien fait pour lui. L'équilibre du marché est une loi naturelle, comme la pomme soumise à la gravitation. Il peut avoir des faiblesses momentanées, des défaillances. Les séditieux qui le nient n'ont rien à faire dans le commerce. Le secret de ces concours est de platement fayoter avec les idées des maîtres, ceux qui ont pondu le sujet. Ainsi, à la question sur la défaillance des marchés qui justifient l'intervention de l'Etat, l'étudiant parfait renvoie l'interrogation comme un boomerang : «L'intervention de l'Etat n'est-elle pas à l'origine de la défaillance des marchés financiers ?» Derrière ça, on enquille avec la citation de Reagan : «L'Etat n'est pas la solution à notre problème ; l'Etat est le problème.» Si vous faites ainsi, c'est que vous êtes déjà, au choix, Maurice Herzog, Jacques Cheminade, Eric Woerth, ou que vous le serez bientôt. 

Un mauvais point pour HEC. En 2012, l'optimiste jury de notre meilleure école de management demandait à ses admissibles : «La crise est-elle terminée ?» Plus avisé, un an après, en 2013, celui de l'ENA propose de sélectionner les admissibles sur l'«efficacité des mesures de sauvegarde de l'emploi en période de crise». Si nos futures élites sont sélectionnées sur de telles valeurs, «à qui la faute ?» C'est le sujet de culture générale d'HEC 2006. Une chose est sûre, ce n'est pas la faute à Voltaire. B.R. 

DES SCIENTIFIQUES TRÈS LITTÉRAIRES 

Paradoxalement, c'est dans les épreuves des écoles scientifiques que l'on fait le plus référence aux textes classiques. Ces dernières années, les futurs étudiants de l'Ecole polytechnique, de l'Ecole normale supérieure et de l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles ont commenté une citation de Paul Ricœur, Georges Bataille, Nelly Wolf et Pierre Jourde. Excusez du peu. L'argumentation doit s'appuyer sur trois romans, pièces de théâtre ou autres. Des livres que les «taupins» ont dû travailler pendant l'année. En 2012, Eschyle, Pascal et Steinbeck étaient au programme. C'est avec les Raisins de la colère que les futurs ingénieurs découvrent les conséquences de la crise de 1929. Petit détail, cette épreuve ne porte pas l'enseigne fumeuse de «culture générale». Plus sobrement, elle s'intitule «composition française», comme au temps du certificat d'études. Certains y verront un peu de tenue dans l'indécence, d'autres - les bêtes à concours mondialisées - une présentation archaïque qui explique nos difficultés à accepter une mondialisation salvatrice.