vendredi 30 mai 2014

Thomas Coutrot : « 59% de la dette publique est illégitime »


EMMANUEL LÉVY ET BRUNO RIETH

Qu’est-ce que la dette publique ? D’où vient-elle ? A qui profite-t-elle ? Et comment peut-on vraiment la résorber ? A l’heure des grandes cures d’austérité, le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), qui rassemble des associations militantes, publie aujourd’hui un diagnostic précis de la dette française. Thomas Coutrot, économiste et porte-parole d’Attac France, qui a participé à la rédaction de ce rapport, nous éclaire sur cette dette qui sert parfois de prétexte aux pires décisions politiques... 


Thomas Coutrot : « 59% de la dette publique est... par Marianne2fr Pour tout savoir sur le CAC et les associations qui en sont membres, cliquez ici.

Pour consulter l'audit de la dette publique française, cliquez ici ou téléchargez-le en cliquant sur le lien ci-dessous.


mardi 27 mai 2014

La Crise! quelle crise?

Les marchés croulent sous les dividendes 228 Mds de dollars distribues au 1er trimestre. +31% sur 1 an Le Figaro Eco

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mardi 20 mai 2014

S’affranchir du mythe de la croissance et reprendre la main

Les politiques actuelles ne marchent plus. Il faut en finir avec cette idée que sans croissance rien n’est possible, affirme l’économiste Jean Gadrey, membre du comité de soutien du parti Nouvelle Donne. Nul besoin d’attendre une hypothétique croissance pour partager le travail, réduire la pauvreté et la précarité, ou taxer les transactions financières.
Il est temps d’en finir avec cette idée du candidat François Hollande en 2012, reprise sans cesse par le Président, selon laquelle « sans croissance, il n’y a pas de redressement économique, pas de création d’emploi » et même pas de progrès social possible. Cette idée nous condamne à l’impuissance politique.
Il n’y a nul besoin d’attendre la croissance pour s’en prendre à l’excès de dividendes et de profits non réinvestis, pour séparer réellement les activités de banques de dépôts et de banques d’affaires, pour négocier un partage équitable du travail tout au long de la vie, pour mettre en place une vraie taxation des transactions financières, pour une révolution fiscale progressive, pour réduire fortement la pauvreté et la précarité en un an, pour lancer un plan massif de réhabilitation thermique et d’énergies renouvelables… Aucune des 31 mesures du programme de Nouvelle Donne pour les élections européennes n’a besoin que l’on attende la croissance, bien que tout y figure pour qu’on sorte de la déflation actuelle, en particulier en reprenant la main sur la finance et la création monétaire.
D’innombrables travaux montrent que, dans le groupe des pays les plus « riches » au sens usuel, les indicateurs de développement humain, de bien vivre, de santé et d’éducation, de délits et violences… n’ont plus aucun rapport avec le niveau du PIB par habitant. Les « politiques de croissance » ne marchent plus, elles ont même des effets pervers. Il faut des politiques de civilisation, d’ailleurs bien plus riches en emplois.
De plus en plus d’économistes estiment que, d’une part, la croissance ne reviendra pas, ou seulement à des taux très faibles, et que, d’autre part, selon Thomas Piketty,« le retour de la croissance ne résoudra pas l’essentiel des défis auxquels les pays riches doivent faire face ». Daniel Cohen nous invite quant à lui à nous « affranchir de notre dépendance à la croissance ».
Plus important encore, le retour – très improbable – d’une croissance « à l’ancienne » n’est pas souhaitable si l’on pense à l’avenir de notre biosphère, un avenir qui a commencé à se conjuguer au présent, sous la forme de catastrophes dont la fréquence et la gravité augmentent. Ce retour aggraverait encore la pression écologique des activités humaines, dont le réchauffement climatique, et accélèrerait la destruction des écosystèmes dont dépend le bien-être humain.
En 2013, c’est vers le 20 août que l’humanité a fini de consommer le flux de ressources naturelles renouvelables que la nature peut lui fournir en un an, et qu’elle a donc commencé à vivre à crédit en prélevant dans les réserves de la « banque mondiale des ressources naturelles ». Or ces réserves sont limitées. On ne peut pas très longtemps bruler ses meubles pour se chauffer.
La déraison est du côté des mystiques de la croissance, la raison du côté de la gestion commune de biens communs écologiques et sociaux, y compris la monnaie et le crédit.
Jean Gadrey, économiste et membre du comité de soutien de Nouvelle Donne

vendredi 9 mai 2014

Cadeau aux banques

Après 30 milliards d’euros de cadeaux aux patrons
25 milliards d’euros de cadeaux aux banques

Patrick Saurin (Médiapart)
Le 7 mai 2014
En 2013, le gouvernement avait glissé dans le projet de loi de finances pour 2014 un article 60 (devenu article 92) particulièrement scandaleux qui prévoyait, en contrepartie de la mise en place d’un modeste fonds de soutien aux collectivités, une mesure de validation législative rétroactive de l’irrégularité des contrats de prêts tirée du défaut de stipulation du taux effectif global. Par cette disposition, l’État, porteur du risque des 8,5 milliards d’euros d’encours toxiques qu’il avait repris à DEXIA, essayait de se prémunir de façon déloyale et malhonnête contre la jurisprudence des tribunaux civils défavorable aux banques, quitte à en faire payer le prix aux contribuables. Nous avions déjà à l’époque exposé et dénoncé les vices de ce dispositif[2].
Heureusement, saisi par des députés et des sénateurs, le Conseil constitutionnel a annulé deux des trois paragraphes de l’article 92 dans une décision du 29 décembre 2013[3]. Le Conseil a rejeté la validation rétroactive des contrats dépourvus de taux effectif global (TEG) au motif que la validation rétroactive des contrats dépourvus de TEG « s’applique à toutes les personnes morales et à tous les contrats de prêts en tant que la validité de la stipulation d’intérêts serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention du taux effectif global ; que, d’une part, ces critères ne sont pas en adéquation avec l’objectif poursuivi ; que, d’autre part, cette validation revêt une portée très large ; que, par suite, les dispositions contestées portent une atteinte injustifiée aux droits des personnes morales ayant souscrit un emprunt. » Le Conseil a également confirmé le remplacement du taux initial par le taux légal pour les contrats dépourvus de TEG en relevant que la loi aurait eu pour conséquence de modifier une sanction (la mise en place du taux légal en lieu et place du taux du contrat dépourvu de TEG) ; le conseil a considéré que de telles dispositions n’avaient rien à faire dans un projet de loi de finances. Seule, la création du fonds de soutien a été validée par le Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, chassé par la porte, le gouvernement revient par la fenêtre avec un projet de loi déposé le 23 avril dernier au Sénat[4] qui, à défaut de prévoir la validation rétroactive par la loi des contrats de prêts irréguliers, propose de le faire de manière conventionnelle « par tout écrit ». En clair, il est demandé aux collectivités de signer avec les banques un « pacte d’irresponsabilité » par lequel les collectivités s’engagent à exonérer les banques de leurs turpitudes. En contrepartie de quelques miettes hypothétiques octroyées par un fonds de soutien famélique, les personnes morales de droit public sont invitées par le gouvernement à prendre en charge l’essentiel des surcoûts provenant des emprunts toxiques et à renoncer à leur droit d’agir en justice. Le projet de loi est accompagné d’une étude d’impact particulièrement édifiante quant à l’ampleur du problème généré par les emprunts toxiques et à l’état d’esprit du pouvoir socialiste. Selon les rédacteurs de l’étude, le risque financier pour l’État est estimé à 17 milliards d’euros[5]. Précisons que ce montant ne concerne que les 8,5 milliards d’encours toxiques de Dexia repris par la SFIL[6] car aux 17 milliards d’euros, il faut ajouter le coût du risque provenant des encours toxiques des autres banques françaises et étrangères. Au final, le risque représenté par la totalité des emprunts toxiques dépasse probablement les 25 milliards d’euros[7], une somme à côté de laquelle le montant du fonds de soutien semble bien dérisoire[8]. En effet, ce fonds sera alimenté à hauteur de 100 millions d’euros par an pendant 15 ans maximum, ce qui représente au plus en tout et pour tout 1,5 milliard d’euros, soit 6 % du coût du risque. Par ailleurs, les banques ne contribueront que pour moitié au financement du fonds, soit au maximum 750 millions d’euros sur 15 ans, une somme représentant seulement 3 % du coût total estimé du risque qu’elles ont généré, les 97 % restants étant à la charge des contribuables locaux et nationaux. Une autre déficience de ce fonds tient à ce que l’aide qu’il est susceptible d’accorder est limitée à 45 % maximum du montant des indemnités de remboursement anticipé dues. Mais le plus important est que pour bénéficier de ce fonds, la collectivité a l’obligation de passer une transaction avec la banque et de renoncer ainsi à toute action en justice. C’est là le point le plus contestable de ce dispositif, puisqu’il revient à entériner la possibilité pour des contractants de s’affranchir des lois et des réglementations au seul motif qu’ils en auraient convenu. Si l’on donne aujourd’hui la possibilité aux banques de s’affranchir de leurs obligations en matière de TEG, pourquoi ne leur donnerait-on pas demain la possibilité de s’exonérer du taux d’usure face à des emprunteurs en situation de faiblesse. Et pourquoi cette pratique ne serait-elle pas étendue au monde du travail par une loi qui permettrait à des employeurs de valider rétroactivement le versement à leurs salariés d’une rémunération inférieure au SMIC, au motif que ces salariés, sous la pression d’un chantage à l’emploi, auraient accepté par convention d’entériner une telle pratique. En définitive, le projet de loi du gouvernement revient ni plus ni moins à reconnaître valables des conventions dont l’objet et la cause sont illicites, et ce en violation de l’article 6 du code civil qui prévoit qu’ « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs », et des articles 1108, 1128 et 1131 du même code relatifs à la licéité de l’objet et de la cause des contrats.
L’étude d’impact qui accompagne ce nouveau projet est proprement révoltante. En effet, le document propose un exemple destiné à chiffrer l’hypothétique manque à gagner d’une banque dont un emprunt de 10 millions d’euros sur 20 ans verrait son taux d’intérêt fixe de 3 % remplacé par le taux légal actuellement de 0,04 %. Les rédacteurs évaluent le préjudice pour la banque à 3,441 millions d’euros. Dans leur exemple, ils font état d’un différentiel d’intérêts entre deux taux fixes – or nous savons que la période risquée des emprunts toxiques est à taux révisable – mais surtout, ils se gardent bien de calculer le surcoût, bien réel celui-là, que doivent payer aujourd’hui les collectivités pour des emprunts dont le taux, indexé sur la parité de l’euro et du franc suisse, varie actuellement entre 9 % et 12 %. Dans l’hypothèse d’un taux de 12 %, le surcoût total pour la collectivité est de 13,332 millions d’euros par rapport à un taux fixe de 3 %, et de 16,733 millions d’euros par rapport au taux légal de 0,04 %. Le fait que l’étude d’impact n’ait pas évoqué ce cas de figure montre la partialité et la déloyauté du gouvernement entièrement acquis à la cause des banques.
Le nouveau projet de loi du gouvernement nous paraît tout aussi anticonstitutionnel que le précédent en ce qu’il contrevient aux droits de la défense et n’apporte pas la preuve de risques constituant des motifs d’intérêt général pouvant justifier le recours à des mesures de validation législative. En effet, la Conseil Constitutionnel considère que la seule considération d’un intérêt financier ne constitue pas un motif d’intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle à une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d’autres à intervenir. Si, comme le soulignait le député Charles de Courson lors de la discussion des amendements de l’article 60, « le rôle du législateur n’est pas de blanchir des banques ayant commis une faute »[9], à plus forte raison le rôle du Conseil Constitutionnel ne doit pas être de donner un blanc-seing au législateur lorsqu’il méconnaît l’intérêt général dans le seul but d’exonérer les banques et de s’exonérer lui-même, sachant que la SFIL et la CAFFIL tireraient bénéfice du projet de loi.
L’entêtement des pouvoirs publics à exonérer les banques de leurs responsabilités et à faire supporter la charge des emprunts toxiques par les collectivités et les contribuables ne donne que plus de raison d’être et de légitimité à l’action citoyenne pour obliger les banques à supporter l’intégralité des surcoûts liés aux emprunts toxiques. Après avoir mené un premier travail d’audit de la dette locale et d’information auprès de la population, des citoyens réunis en collectifs se préparent à passer à une nouvelle étape consistant à attaquer les banques en justice dans le cadre d’une action rarement utilisée, connue sous le nom d’ « autorisation de plaider », qui permet à des citoyens d’agir en justice à la place d’élus défaillants[10]. La question de l’annulation de la dette illégale et illégitime est donc plus que jamais d’actualité aujourd’hui en France.

jeudi 1 mai 2014

Les cinq martyrs de Chicago

Les cinq martyrs de Chicago

Grève à McCormick (Chicago) 3 mai 1886

Tableau de F. Costantini

Tableau de F. Costantini: Grève à McCormick

On notera que les visages des 4 policiers sont ceux de 4 Présidents des Etats-Unis.[1]
La brutalité de la répression policière dans la grève ouvrière de l’entreprise McCormick va provoquer un rassemblement de protestation, organisé par les anarchistes à Chicago. Cette manifestation pacifique est interrompue par la police, mais une bombe d’origine inconnue éclate au milieu de ce rassemblement et les policiers en panique vont se tirer les uns sur les autres et sur la foule.
Les morts et blessés au cours de cet événement seront l’occasion d’une dure répression: des anarchistes seront condamnés à mort, en dépit de leur innocence manifeste. Haymarket sera ainsi à l’origine de la célébration du premier mai, partout dans le monde, sauf aux Etats-Unis.

Aux origines du 1er mai

Les Cinq martyrs de Chicago par Rudolf Rocker

Quels hommes et quels événements furent tragiquement à l’origine du choix de cette date comme journée internationale de revendications.
La date du premier mai 1886 avait en effet été choisie quelque temps plus tôt par les deux grandes organisations ouvrières américaines, l’IWPA [2], et l’AFL [3], pour un gigantesque mouvement de grèves sur le plan national si d’ici-là ces deux organisations n’avaient pu obtenir la journée de huit heures pour laquelle elles se battaient depuis longtemps déjà.
C’est à Chicago où le gros patronat local s’était acquis une forte réputation de dureté que le drame allait éclater. S’il ne se passa rien ce premier mai 1886 à Chicago, six ouvriers grévistes étaient dès le lendemain abattus par la police. Ce fut au meeting de protestation qui eut lieu le soir même qu’un agent provocateur jeta une bombe parmi l’assistance. Cet événement servit de prétexte à l’une des plus féroces répressions dont le mouvement ouvrier fut la victime.
Pour bien faire les choses, la justice s’abattit sur les militants les plus en vue. Parsons, Spies, Fielden, Schwab, Engel, Fischer, Lingg et Neebe furent inculpés de conspiration et de meurtre.
Cinq de ces militants, tous anarchistes, furent condamnés à mort.
Lingg n’ira pas jusqu’à la potence, il se suicidera dans sa cellule. Les quatre autres seront pendus le 11 novembre 1887.
Voici quels furent ces "martyrs de Chicago" qui se battirent et moururent pour autre chose que de beaux bulletins de paye ou des brins de muguet.
Le Monde Libertaire, Mai 1976, n° 222
Trad. de Solidaridad Obrera par Carmen

Louis Lingg

Le confectionneur (mais non poseur) de bombes de dynamite, Louis Lingg, naquit le 9 septembre 1864 à Mannheim (Baden) en Allemagne.
De parents pauvres, il connut très vite les désagréments de la misère.
À treize ans, un événement le marqua profondément. Ça se passait en hiver. Son père qui travaillait pour un négociant en bois, était occupé dans la scierie de la localité. Une poutre roula sur la glace du Rhin. Le père essaya de la retirer mais la glace se rompit et il resta immergé. Il fut sauvé mais le froid lui causa une maladie dont il ne se remit jamais. Son exploiteur fit ses calculs, commença par réduire son salaire et, dans un deuxième temps, prétextant de mauvaises affaires, le limogea.
Louis Lingg devint menuisier et fit son apprentissage dans la Wanderschaft. Il voyagea dans le sud de l'Allemagne et en Suisse. À Berne, il se mit en rapport avec des anarchistes.
À cette époque, le mouvement anarchiste était à son apogée en Suisse. La propagande par le fait, les attentats contre la police de Vienne battaient également leur plein ainsi que les sombres affaires de Merstallinger, Eisert, Lettinger, etc., où Kammerer et Stellmacher furent pendus.
La Suisse était le centre des complots et il est probable que le jeune Lingg qui n'avait pas encore vingt ans fut attiré par tout cela. Le fait est que Lingg connut Kammerer. Les mesures prises par le Conseil fédéral suisse contre les anarchistes étrangers et le désir d'échapper au service militaire firent que Lingg émigra aux États-Unis.
Il arriva à Chicago en 1885 et tout de suite adhéra au mouvement anarchiste. Il y avait dix mois qu'il était là lorsque se déroulèrent les faits du Haymarket. Durant le procès on apprécia vivement son valeureux comportement. Le 16 mars 1888, Freiheit (journal anarchiste qui paraissait en langue allemande simultanément en Amérique et en Allemagne, fondé et animé par Johan Most) publiait quelques pensées de Lingg qu'il rédigea en prison. Les voici:
Qu'est-ce que l'anarchie ? Une existence humaine digne, durant toute notre vie car elle garantit à tous la parfaite liberté individuelle par laquelle les besoins de l'homme sont satisfaits dans la répartition équitable des productions de la communauté.
La société libre anarchiste trouve ses limites dans celles de la terre. L'anarchie consiste à garantir la plus grande part de bonheur pour tous. Cet objectif s'obtiendra par l'extirpation totale de la domination. Cette domination est personnifiée par les exploiteurs et les tyrans.
Après l'abolition de la domination, les travailleurs s'organiseront en accord avec leurs capacités et leurs besoins.
La centralisation, c'est-à-dire la soumission des divers groupes de production et de consommation sous le contrôle d'un groupe composé d'individus dominateurs ou d'une majorité de gens autoritaires, n'est pas recommandable car elle établirait une nouvelle domination et rendrait illusoires les objectifs évidents de la société libre et anarchiste.

George Engel

Engel communiqua sa biographie de la façon suivante:
Je suis né le 15 avril 1836 à Kassel (Allemagne). Mon père était un pauvre maçon. Il mourut alors que j’avais huit ans. À onze ans, ma mère me quitta aussi, morte du choléra. Mes frères furent expédiés à l’hospice et moi je fus confié à une famille pauvre pour 25 marks de pension. Ces gens-là me faisaient crever de faim et souvent je devais aller mendier un bout de pain auprès des voisins.
À quatorze ans, on me laissa libre. Je cherchai un cordonnier qui me prenne comme apprenti, mais on ne voulut pas de moi parce que j’étais tout en guenilles. Je fis la route jusqu’à Francfort à pied et là je fus embauché. En 1856, je me décidai à pratiquer la "Wanderschaft" (pérégrination professionnelle très fréquente en Allemagne, qui regroupait tous les ouvriers manuels errant à travers le pays), et c’est comme ça que j’ai vu du pays, Mainz, Cologne, Bremen, Hambourg, Schleswig, Vienne, Budapest et Rome. Revenu à Schleswig en 1864, je m’incorporai dans une compagnie pour combattre le Danemark. Après la dissolution des "corps francs", je retournai en Prusse et en Autriche pour pratiquer de nouveau la Wanderschaft.
Après de nombreux autres voyages, je décidai de me fixer à Mecklenburg et je me mariai. Après une faillite, j’émigrai en Angleterre où je trouvai une occupation à Winsford. Je suis resté là un an, après quoi je suis parti aux Amériques.
À Philadelphie, j’ai attrapé une maladie de la vue et j’ai dû me faire hospitaliser. En 1874, je vins à Chicago et pris une affaire de tabac alors que j’étais presque aveugle. Les écrits de Conzett m’amenèrent au socialisme. Je devins membre actif de la Lehr-und-Wehrverein et pris part au mouvement politique du Parti ouvrier socialiste.
Lorsque nous fûmes trompés par les politiciens de Chicago durant les élections, je me suis tourné vers la social-démocratie radicale puis vers l’anarchisme.

Adolph Fischer

"Je suis typographe de métier et j’ai 25 ans. Je suis né à Bremen, Allemagne. À 15 ans, je vins aux Amériques. À Little Rock (Arkansas) où mon frère Wilhelm (Guillermo) publiait "Arkansas Staats Zeitung" (Gazette de la cité d’Arkansas), j’appris donc le métier de typo. Après j’ai travaillé à "La Voix du Peuple de l’Est", à Saint-Louis et depuis 1889, je suis membre de l’Union des typographes.
J’ai appris de très bonne heure les principes du socialisme... En 1881, je me suis marié et j’ai déménagé à Nashville (Tennessee). Quelques mois après, on est reparti à Cincinnati et c’est là que j’ai adhéré au Parti ouvrier socialiste. J’ai travaillé un petit moment à "La Presse Libre" de Cincinnati, et à "L’Ami du Peuple", et très vite je me suis vu refuser partout à cause de mes activités.
Après bien des ennuis financiers, nous débarquâmes à Chicago, ma famille et moi. J’ai tout d’abord travaillé à "La Presse Libre de Chicago", puis à "Arbeiterzeitung", où je devins chef typo".
Au sujet de sa participation dans la prétendue conspiration qui devait avoir inspiré les faits de Haymarket, Fischer déclara devant le tribunal:
"Dans l’affaire de la bombe de Haymarket, je suis aussi innocent que le ministre Grinnel. Je ne nie pas que j’ai été de ceux qui ont organisé le meeting, mais le meeting n’avait pas pour objectif l’application de la violence et la perpétration de crimes.
Le meeting avait été organisé pour protester contre la violence et les crimes exercés par la police quelques jours auparavant aux usines Mac Cormick... Je ne nie pas non plus que dans le tract invitant le public on pouvait lire: "Travailleurs, venez armés !" et nous avions raison de dire cela aux ouvriers car nous ne voulions pas qu’ils soient fusillés au cours du meeting comme cela s’est produit dans d’autres occasions.
Lorsque les tracts furent imprimés et que Spies en lut un, il me dit: "Fischer, si on diffuse ces tracts, je ne parle pas". On ne diffusa donc pas ces tracts et Spies parla. C’est tout ce que j’ai à voir avec la réunion.
Le verdict prononcé contre moi n’est pas destiné à punir un assassinat mais l’anarchisme. J’ai la conviction d’avoir été condamné à mort parce que je suis anarchiste et non pour être délinquant.
Je n’ai jamais commis un crime, mais je connais quelqu’un qui est en passe de devenir un criminel, celui qui m’a accusé et fourni des témoins, le financier Grinnel.
Cependant si les classes dirigeantes croient se débarrasser des anarchistes et de l’anarchisme, ils se trompent lourdement, car pour les anarchistes les principes sont plus importants que la vie. Un anarchiste est toujours prêt à mourir pour ses idées, mais dans cette affaire je suis faussement accusé. Je suis condamné pour être anarchiste et c’est tout ce que j’ai à dire."

Albert R Parsons

Parsons raconta sa vie à un reporter alors qu’il était à la prison de Cook Country. Celui-ci la livra à la publicité comme suit:
Je suis né le 20 juin 1848, à Montgomery (Alabama), États-Unis. Mes ancêtres quittèrent l’Angleterre pour les Amériques en 1632 et s’installèrent dans les environs de Narranganset- Bay. C’étaient des puritains. Mon père était natif du Maine et ma mère du New Jersey. J’avais 5 ans lorsque mourut ma mère et je fus envoyé au Texas avec un frère marié.
De là, nous allâmes à Johnson Country, où nous restâmes 2 ans. Après quoi on alla voir du côté de Hill Country; puis on me refila à une soeur mariée avec qui je repartis au Texas, à Waco. En 1859 je fus embauché comme apprenti typographe dans l’imprimerie du "Galveston Daily News" (quotidien de Galveston), où je suis resté 7 ans.
Quand la guerre éclata en 1861 contre le Sud, je m’engageai dans une compagnie de volontaires appelée "Lone Star Rifles".
Mes premières expériences en tant que soldat se déroulèrent au cours d’un voyage que je fis à bord d’un bateau de passagers, le "Morgan", transformé en bateau de guerre pour arrêter le bateau fédéral "Star of the West". Après une semaine passée dans le golfe de Mexico, nous arrivâmes à Corpus Christi, où nous trouvâmes l’armée du général Smigg qui avait fait évacuer les forts des frontières du Texas. Nous revînmes à Galveston où ma compagnie fit de longues marches sur terre pour se retrouver avec l’armée du général Lee, en Virginie.
Comme j’étais trop jeune pour supporter la fatigue, on m’abandonna en chemin. Quelques mois après, j’arrivai du côté de Sabine où je m’engageai dans une compagnie d’artilleurs; j’y restai un an à peu près, jusqu’à ce que nous fussions tous réformés par la loi de conscription. J’ai fini la guerre vers 1865 dans la brigade du général Parsons...
Après toutes ces pérégrinations je suis revenu à Waco où j’ai été pendant six mois à l’école, à la suite de quoi je suis devenu professeur ! Tout de suite après, j’ai fondé un journal intitulé "The Spectator" (le Spectateur). Je l’ai rédigé et publié dans le seul but de voir la reconstruction du Sud par le Nord. C’est avec ces idées-là que j’ai adhéré au Parti républicain, qui, à cette époque, défendait la race noire contre l’esclavage. Me mêler de la défense des noirs ne m’a apporté que des ennuis de la part de mes parents et amis. Les négriers étaient si furieux contre moi, que j’ai été plusieurs fois menacé de mort; j’ai même reçu un coup de matraque d’un banquier parce que j’avais déclaré en sa présence que jamais je ne cesserais de défendre les droits de mes frères de couleur.
Je fis une série de discours déclarés incendiaires par les esclavagistes. En 1871, je fus élu lecteur du Sénat de l’État du Texas. Le gouverneur en profita pour me nommer également colonel de la milice. En tant que tel, j’ai rendu bien des services pour le remplissage des urnes en protégeant les pauvres noirs dans leurs droits civils qui étaient poursuivis et assassinés par les membres du Klux.
En 1873, je vins à Chicago. J’adhérai aussitôt à l’Union des typographes et j’en suis encore membre. Mon premier emploi de typographe je l’ai eu à l’"Inter-Ocean" et trois ans après je travaillai pour le Chicago Times.
En 1875 je m’affiliai au Parti ouvrier socialiste, et l’année suivante à l’Ordre des chevaliers du travail, dont je suis encore membre.
La même année, les socialistes me nommèrent candidat au Conseil et en 77, je fus viré du "Times" pour avoir participé à la grande grève des typographes au mois de juillet. L’avalanche d’élections continua ainsi; en décembre 77, je fus élu délégué au Congrès du Parti ouvrier socialiste des États-Unis, célébré à Newark (New Jersey).
De retour à Chicago, je fus deux fois délégué au Congrès par les camarades de Country Clerk, deux fois conseiller. En 1879, la section de Chicago me nomma délégué au Congrès du Parti ouvrier socialiste à Alleghany City, et, en 1880, j’abandonnai le parti pour retrouver les socialistes révolutionnaires dont je fus encore le délégué à leur Congrès. Je fus aussi délégué au Congrès de Pittsburg où fut organisée l’AIT, dont je suis encore membre.
Comme orateur et propagandiste, j’ai traversé seize États de notre pays et pendant ces onze dernières années j’ai parlé à plus de mille meetings sur les divers thèmes du socialisme.
Je suis père de famille et j’ai deux enfants, un garçon de huit ans et une fille de six."
Depuis 1884, Parsons était rédacteur de Alarm, journal fondé à Chicago par les internationalistes, interdit après l’affaire de Haymarket ("le marché de Hay") par la police.
En 1872, il s’était installé à Austin avec sa compagne qu’il avait connue toute petite alors qu’elle était esclave de ses parents. Durant toute sa vie, sa compagne fut une propagandiste de l’anarchisme.

August Spies

Spies naquit le 10 décembre 1865 à Friedewalde (Hesse-Kassel), en Allemagne. Son père était employé forestier à Kurbesse... Élevé par les maîtres de la maison, il fut envoyé plus tard à Kassel où il entra à Polytechnique afin de préparer sa profession forestière... À 16 ans il était déjà géomètre et à 17 libre penseur... Passionné par les études, mais aussi par la lecture, il dévorait les classiques allemands, Feuerbach, Kant, Molleschott, etc.
Il étudiait depuis un an à Kassel quand son père mourut et il dut interrompre ses études... C’est alors que Spies décida d’émigrer en Amérique où vivaient des parents de sa mère très aisés. En 1872 il débarqua à New York. Sur le conseil d’un oncle, qui habitait cette ville, il se mit à apprendre le métier de tapissier. À cette époque-là il était encore fervent admirateur de Bismarck et de l’empereur allemand. Du socialisme, il ne savait strictement rien. À peine avait-il lu çà et là quelques lignes sur la Commune de Paris et il croyait que les socialistes et les communistes ne voulaient que détruire toute propriété. Spies considérait cela comme une monstrueuse absurdité.
Après avoir appris son métier, il décida d’aller explorer l’Ouest, mais comme il ne trouva sur place aucun emploi dans sa branche, il se lança dans le commerce et géra une librairie.
En 1877, il adhéra au mouvement ouvrier, après avoir lu une partie de la littérature socialiste. Membre de la section de Chicago du Parti ouvrier socialiste, il fut extrêmement actif durant la période électorale de 1878, quand le Dr Smith fut présenté comme candidat à l’intendance par les socialistes. Lui-même fut désigné de 1879 à 1881 pour la législation et autres fonctions politiques. En 1880, il avait accepté le poste d’administrateur de l’Arbeiterzeitung (Le Quotidien du travailleur), qui était au bord de la faillite. Par son travail et ses capacités il ramena le journal à la prospérité. La rédaction s’intéressait encore à l’agitation politique, mais lorsque s’effectua la scission entre la section socialiste et la tendance social-révolutionnaire, orientée par Most, la rédaction suivit Spies.
Au Congrès des socialistes en 1882, à Pittsburg, Spies défendit la propagande social- révolutionnaire, déclarant que les travailleurs n’obtiendraient jamais leurs droits par la voie des urnes et des suffrages. Dès cette époque-là il se considéra anarchiste et se mit à étudier Proudhon et Bakounine.
"En aucun cas je ne suis partisan des courtes révoltes qui sont dues aux conditions actuelles"
dit-il en 1886, à l’époque de son procès, lors d’une entrevue en prison...
Dans son autobiographie, publiée par Nina Van Zandt, on peut lire:
"Ma philosophie a toujours été que le but de la vie soit seulement l’épanouissement de l’individu et l’application rationnelle de ce principe est la véritable moralité. Le socialisme peut être défini comme une science, comme une forme déterminée d’organisation sociale, tandis que l’anarchisme (la négation de l’autorité imposée) est le fil qui anime toutes les époques de l’évolution sociale et humaine;c’est la lutte pour la souveraineté de l’individu. Bien que dans le concept général je sois anarchiste, je suis aussi pratiquement et spécifiquement socialiste".
Voici une autre pensée de Spies:
"Non, je n’exige pas la terre entière, je veux que tous soient en possession de la terre. Y a-t-il là quelque chose de ridicule ?"
L’anarchisme enseigne que dans une forme sociale collectiviste, dans une égalité économique et une indépendance individuelle, l’État, – le père politique,– doit être débarrassé comme un tas d’ordures et la barbarie avec. L’anarchisme ne signifie pas avalanche de sang, d’incendies, de vols. Ces monstruosités, au contraire, sont les propres caractéristiques du capitalisme. Anarchie signifie paix pour tous. L’anarchisme et le socialisme signifient la réorganisation de la société sur des bases scientifiques et l’abolition des causes qui produisent les vices et les crimes.
Le capitalisme apporte d’abord les maladies et après fait semblant de les guérir avec la violence.
Notes:
[1] Les illustrations originales de cette page du site sont de Richard Bonfils.
[2] International Working People's Association - Association internationale des travailleurs, de tendance social-révolutionnaire
[3] American Federation of Labor - Fédération américaine du travail, syndicat apolitique.
Sources: RA Forum