jeudi 22 novembre 2012

Le manège infernal du "toujours plus"


WITT/SIPA
Certains esprits naïfs pensaient que le gouvernement allait se mettre le Medef dans la poche en négociant le virage qui l'a mené sur la route de l'économiquement correct - ce que Pierre Moscovici appelle une «révolution copernicienne».Par parenthèse, le ministre de l'Economie oublie les illustres prédécesseurs qui ont ouvert la voie d'une telle métamorphose. On pense à Pierre Bérégovoy et Dominique Strauss-Kahn, pères de la déréglementation financière, et à Lionel Jospin pour l'ensemble de son œuvre en matière de privatisations. Il serait malvenu de les passer par pertes et profits. 

Il était cependant illusoire d'imaginer qu'un tel retournement allait conduire le Medef à enterrer la hache de guerre. Chez ces gens-là, on ne reste jamais l'arme au pied. On applique la bonne vieille théorie du «toujours plus», en se disant que l'on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Après tout, les socialistes restent des socialistes et, même s'ils font preuve d'une bonne volonté que ne laissaient pas présager les discours de François Hollande sur la «finance ennemie», il importe d'enfoncer le clou. 

Jean-François Pilliard, ci-devant délégué général de l'UIMM (la fédération patronale de la métallurgie), a donc mis les points sur les i dans les Echos. Les entreprises vont-elles embaucher, comme l'a promis Jean-Marc Ayrault ? «Je reste prudent.» Et si le gouvernement ciblait le crédit d'impôt uniquement sur les entreprises qui investissent ? «Il s'agirait d'une intervention de l'Etat dans le pilotage des entreprises. C'est une ligne rouge à ne pas franchir.» Et d'ajouter que l'important, désormais, est de réviser le financement de la protection sociale dans le même esprit, sans oublier d'en rajouter une louche en matière de flexibilité du travail. 

Ainsi va la vie quand on laisse la finance reprendre du poil de la bête. Aux applaudissements succèdent très vite les admonestations. Certes, Ivan Rioufol, éditorialiste du Figaro tendance ultradroite, condescend à saluer «une conversion» du gouvernement au«bon sens» (le sien). De même, Eric Le Boucher, chroniqueur des Echos accro à l'orthodoxie pure et dure, écrit : «Le gouvernement reconnaît que le coût du travail est, comme on dit aujourd'hui, "un sujet".» Après avoir rappelé les pistes naguère ouvertes par Nicolas Sarkozy, il note, tout guilleret, que l'ex-président «avait amorcé le virage, M. Hollande suit le même chemin.» Mais Eric Le Boucher passe déjà à l'étape suivante, en proposant une feuille de route dont on appréciera la portée humaniste : «Il faut accepter de se sacrifier un peu aujourd'hui pour créer les emplois de nos enfants.» De tout temps, les possédants ont battu leur coulpe sur la poitrine des autres. Mais nul n'avait imaginé qu'ils retrouveraient si vite un peu de leur morgue perdue. 

Telle est la face cachée d'un «pacte de compétitivité» qui a fait du «coût du travail» l'ennemi économique numéro un. Cet adoubement idéologique a fait dire à Michel Rocard, dans le Monde : «Un signal a été donné aux entreprises, il était temps.» En l'occurrence, le signal a surtout été envoyé aux porte-parole des gros actionnaires. Ces derniers, en connaisseurs, ont apprécié la portée du geste.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire