Ces prélèvements viendraient, du fait de leur inefficacité postulée, pénaliser l’économie en consommant des ressources qui auraient pu être beaucoup mieux employées par les entreprises.
Conséquence : cette « dépense » (les sommes prélevées sont comptabilisées comme charges dans les comptes des entreprises), au pire inutile, au mieux excessive, il serait de bonne gestion de la réduire, voire la supprimer, au nom de la compétitivité et de l’emploi. Le taux de prélèvements obligatoires (2) est ainsi présenté comme un indicateur des « économies » possibles justifiant les « réformes » visant à diminuer la « dépense publique », et se traduisant par des « plans d’austérité » dès lors présentés comme « inévitables ».
Or que nous disent les comptes nationaux publiés par l’Insee (3) ?
L’INSEE estime chaque année la production en la décomposant en cinq « secteurs institutionnels » (4) que l’on peut regrouper schématiquement en deux grands secteurs : les sociétés financières et non financières constituant le secteur marchand, les autres secteurs (ménages, Institutions publiques et ISBLSM) constituant le secteur non marchand (mises à part les entreprises individuelles mais dont le poids est peu élevé). Or si l’on fait cette partition on constate qu’environ 40% du PIB, c’est-à-dire de la création de valeur économique, proviennent du secteur non marchand ! Ce qui nous est présenté comme une soustraction (dépense) est en réalité une addition ! Le secteur non marchand présenté comme une charge, représente en réalité 40% de la valeur produite chaque année !
Comment une telle confusion est-elle possible ?
Parce que nous assimilons flux de monnaie et flux de valeur. Essayons d’y voir plus clair.
Prenons l’exemple d’une entreprise A qui vend pour 100 000 euros (c’est son chiffre d’affaires annuel). Pour produire, elle a dû acheter des biens intermédiaires à d’autres entreprises pour 40 000 euros.
Notre entreprise A, en plus de ses achats, a dû payer ses salariés (leur salaire net), des cotisations sociales (salariales et patronales) et des impôts (mettons 40 000 euros pour l’ensemble), le reste (soit 20 000 euros) constituant son profit (ou excédent brut d’exploitation). De son point de vue, elle aura bien « dépensé » 80 000 euros (5).
Imaginons maintenant que notre entreprise A vende des scanners, ou des déambulateurs, ou des médicaments … Ses clients vont être des hôpitaux ou des retraités. Tous agents économiques ayant obtenu leur monnaie grâce aux prélèvements obligatoires. Et là nous découvrons que les « dépenses » (cotisations sociales dans ce cas) de notre entreprise sont en même temps ses « revenus » (son chiffre d’affaires).
L’économie est un circuit. Toute dépense pour un agent économique est un revenu pour un autre. Il est donc impossible de généraliser à l’économie dans son ensemble les raisonnements valables pour un seul. Toute la monnaie sortie des entreprises pour alimenter la « dépense publique » y revient sous forme de chiffre d’affaires. L’État et l’ensemble des institutions publiques remettent toujours en circulation dans l’économie marchande toutes les sommes qu’ils ont collectées. S’il en était autrement ils auraient un stock énorme de monnaie, or vous savez bien que « les caisses sont vides » !
Les fonctionnaires et salariés des institutions publiques dépensent leur salaire dans le secteur marchand. Les retraités dépensent leur retraite dans le secteur marchand. Les institutions publiques dépensent leurs ressources monétaires sous forme de commande publique adressée au secteur marchand. Il n’y a là aucune ponction comme on tente de nous le suggérer.
Par parenthèse, notons que l’effet des plans d’austérité visant à réduire la dépense publique ne peut être qu’une baisse de la croissance (mesurée comme la croissance du PIB), voire une récession, par un double mécanisme : le réduction des recettes publiques réduit à la fois la production du secteur non marchand (moins de services publics) et la demande adressée au secteur marchand. L’objectif ne peut donc en être une quelconque amélioration de la situation. Mais plutôt et sans l’avouer, sa suffisante dégradation pour présenter la privatisation des services publics comme l’ultime et inévitable solution.
La terminologie de la dépense publique vue comme un puits sans fond est celle de la classe dominante qui souhaiterait la « supprimer » en privatisant les activités publiques productrices de valeur économique pour en faire une occasion supplémentaire d’accumulation privée.
Ce que la phraséologie dominante nomme « prélèvements obligatoires » ou « dépense publique » est en réalité un flux de monnaie, via les cotisations sociales et les impôts finançant les salaires des fonctionnaires. Ce flux de monnaie reconnaît comme travail et donc comme créatrices de valeur économique des activités qui génèrent 40% du PIB. Car si la monnaie correspondante provient bien (et y retourne), des activités marchandes, ce sont bien ces salariés hors secteur marchand que sont les fonctionnaires, les soignants, les enseignants, etc ... qui produisent la valeur ainsi reconnue.
Ce texte est un résumé de l’article de Bertrand Bony que l’on trouve surhttp://www.reseau-salariat.info/0f4...
(1) Produit intérieur brut : somme des valeurs ajoutées produites dans l’année sur le territoire. L’ordre de grandeur du PIB français est de 2000 milliards d’euros, c’est ce chiffre que nous retiendrons pour faciliter la compréhension.
(2) Rapport des prélèvements obligatoires sur le PIB : 42,5% en 2010
(3) voir Insee : le PIB trois approches
(4) Les sociétés non financières (les entreprises), les sociétés financières (banques, assurances, fonds de placements, etc...), les institutions publiques (Etat, collectivités territoriales, institutions de protection sociale etc.), les ménages (incluant les entreprises individuelles) et les ISBLSM (institutions sans but lucratif au services des ménages : syndicats, associations etc.)
(5) Pour être complet, sur ses 20 000 euros de profit, elle va déduire les amortissements (la dépréciation) de ses moyens de production, mettons 10 000 euros, et l’impôt sur les sociétés (3000 euros). Elle aura ainsi un résultat net de 7000 euros... sur lequel elle devra verser des dividendes à ses actionnaires (par exemple 3000 euros). Au final elle aura conservé dans ses comptes (c’est son autofinancement) 10 000 (amortissements) + 4000 (résultat non distribué) soit 14 000 euros.
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