1,9 milliard d'euros ! C'est le colossal montant des revenus du capital que se sont partagé les patrons-actionnaires de notre classement. Là encore, tous ne le méritent pas.
Engluée dans les méandres de l'affaire Woerth et dans ses règlements de comptes familiaux, Liliane Bettencourt a sans doute passé une difficile année 2010. Mais la riche héritière, qui possède 30,9% du capital de L'Oréal, en gardera quand même un bon souvenir : 334,2 millions d'euros de dividendes versés par son entreprise, un pactole en hausse de 20% par rapport à 2009. Grâce à quoi la reine des cosmétiques arrive une fois encore largement en tête de notre hit-parade annuel des actionnaires les mieux rémunérés.
Mais ses poursuivants n'ont pas pour autant démérité. En moyenne, les cinquante premiers actionnaires de France ont vu leurs coupons s'arrondir de 12% par rapport à l'année précédente, de quoi faire pâlir d'envie les salariés, qui ont dû se contenter de moins de 3% d'augmentation. Pour certains patrons propriétaires, la hausse a été bien plus substantielle encore. Bernard Arnault, qui détient 76,4% de la holding Groupe Arnault (possédant LVMH via Dior), a vu par exemple ses dividendes bondir de 27% en 2010, à 205 millions d'euros. Au total, les gros bonnets de notre classement se sont partagé 1,9 milliard d'euros.
S'ils ont à ce point fait bombance, c'est que leurs entreprises ont affiché de remarquables résultats. Essorés par la crise financière, les profits de ces dernières ont rebondi en moyenne de 50% en 2010. La hausse a été particulièrement impressionnante dans le luxe (+ 72% pour LVMH), ou encore dans l'automobile : Peugeot, qui était tombé dans le rouge en 2009, a recommencé à faire des étincelles (1,1 milliard d'euros de bénéfices). Portées par ces performances, 70% des grandes sociétés ont augmenté l'an dernier leur distribution de dividendes, parfois de façon spectaculaire. Le maroquinier Hermès, par exemple, a fait exploser ses transferts aux actionnaires de 43%, et le groupe Bolloré les a carrément multipliés par plus de deux.
Pourtant, et quoi qu'en pensent les polémistes, la plupart des entreprises sont quand même restées raisonnables : elles ont fait valser les coupons beaucoup moins vite que les profits. Si bien que la part des dividendes dans les bénéfices, qui avait culminé à 50% en 2009, est retombée au niveau plus acceptable de 38%. En somme, nos patrons propriétaires ont raflé une portion proportionnellement plus petite du gâteau, mais, comme ce dernier était plus gros, ils s'en sont quand même mis beaucoup plus dans les poches que l'année précédente. Excellente martingale…
Leur festin est d'autant plus délectable que la rémunération des actions jouit toujours d'une fiscalité extrêmement avantageuse. L'Etat laisse en effet le choix à ses bénéficiaires de la réintégrer dans leurs revenus après abattement de 40%, ou d'opter pour un prélèvement libératoire à 31,3%. Ce cadeau est justifié par le fait que, avant de distribuer des dividendes, les entreprises ont déjà acquitté l'impôt sur les sociétés. En réalité, il sert surtout à ne pas faire fuir les investisseurs. Pas étonnant, en tout cas, que les patrons actionnaires préfèrent encaisser des coupons plutôt que des salaires et autres primes surtaxées. Xavier Niel, le fondateur de Free, ne s'est versé par exemple en 2010 qu'un salaire de 173 000 euros. Autant dire un pourboire, comparé aux 14 millions d'euros de dividendes perçus pour les 63,9% qu'il détient dans Iliad, la maison mère de Free.
A noter que, le plus souvent, ces millions transitent par une cascade de sociétés de participation. La famille Pinault, par exemple, perçoit ses coupons de PPR – dont elle détient 40,7% – via sa holding Artémis. Ces sociétés non cotées n'ayant de comptes à rendre à personne, il est très difficile de connaître la part exacte des dividendes qui tombent effectivement dans les poches des actionnaires. On en est réduit à croire sur parole les – rares – patrons propriétaires qui acceptent de lever un coin du voile sur leurs avoirs. Pierre Bellon, par exemple, affirme que lui et sa famille perçoivent à peine 12% des 54,8 millions d'euros versés par le groupe de restauration Sodexo à sa holding Bellon SA.
Le reste servirait à rembourser la dette de 700 millions d'euros contractée par la holding familiale. Idem chez le cimentier Vicat, dont le président, Jacques Merceron-Vicat, et ses proches auraient consacré 38,8 des 40,8 millions engrangés à des remboursements d'emprunt. Plus modeste encore, la famille Mérieux jure quant à elle ne pas se verser un seul centime des revenus distribués par son groupe d'analyses biologiques BioMérieux : ces 22,8 millions d'euros seraient pour l'essentiel réinvestis. Reste que, même si les familles ne les encaissent pas tout de suite, ces sommes plantureuses finissent toujours par leur revenir.
Xavier Diaz
Consultez notre classement des patrons-actionnaires les mieux payés :
Méthode
de l'enquête : Pour cette partie consacrée aux actionnaires, les experts du cabinet PrimeView ont comparé la progression des profits et celle des dividendes entre 2007 et 2010. Un feu vert signifie que le dividende versé par la société contrôlée, ou qui constitue la principale participation de l'actionnaire cité (pour Bernard Arnault, François Pinault et Serge Dassault), a moins augmenté que le bénéfice net par action. En orange, le revenu indiqué est dans la bonne moyenne. En rouge, il est jugé trop élevé.