Comment ont évolué les inégalités de revenus en France ? Pour le préciser, je m’appuierai sur l’enquête annuelle de l’Insee dite ERFS (enquête sur les revenus fiscaux et sociaux). Elle n’est menée sous sa forme actuelle que depuis 2005 malheureusement : les enquêtes antérieures sont difficilement comparables lorsqu’on souhaite regarder les choses de près, en raison de différences importantes de méthodologie. En outre, les résultats de l’enquête 2011 ne sont connus que partiellement. D’où l’obligation d’ajuster la focale sur la période 2005-2010.
Durant cette période, le niveau de vie des ménages a progressé de 6 % une fois éliminés les effets de la hausse des prix. La taille du gâteau réparti entre l’ensemble des ménages a ainsi gonflé de 55 milliards d’euros[1]. Ce qui correspond à une augmentation moyenne du niveau de vie[2] mensuel de 107 euros par personne- ou plus exactement par « unité de consommation » (U.C.)[3] . Mais, comme toujours, cette moyenne masque d’importants écarts. Lesquels ?
Le graphique ci-dessous le montre.
On peut illustrer cela autrement, en distinguant quatre groupes sociaux : les classes populaires, qui regroupent les 40 % de la population dont le niveau de vie est inférieur à 1400 euros par mois (et par U.C.), les classes moyennes, qui regroupent les 50 % de la population dont le niveau de vie se situe entre 1400 et 3000 euros, les aisés, soit les 5 % de la population dont le niveau de vie se situe entre 3000 et 4000 euros, enfin, les riches, soit les 5 % de la population qui ont un niveau de vie supérieur à 4000 euros par mois et par U.C.[4]
L’explication de cette déformation de la répartition en faveur des nantis est simple. Elle tient en deux mots : impôts et patrimoine. Malheureusement, les informations disponibles sur ces deux points ne permettent pas d’isoler les « riches » des « aisés ». On s’intéressera donc au dixième le plus favorisé, dont les gains ont atteint près de 22 milliards. Mais on peut estimer que, dans les chiffres qui suivent, comme dans les gains de niveau de vie, les « riches » ont capté au moins les trois quarts des montants indiqués.
Impôts, d’abord. En 2005, l’impôt sur le revenu absorbait 17,2 % du revenu imposable des personnes faisant partie du dixième le mieux loti. En 2009 (et sans doute en 2010), ce taux d’effort n’était plus que de 13,5 %, selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la progressivité des prélèvements sur les ménages. Mais il est vrai que, en 2010, les prélèvements sociaux sur ce type de revenus ont augmenté. Reste que le dixième le plus favorisé a ainsi économisé environ 4 milliards qui, au lieu d’atterrir dans la poche du fisc, sont restés dans celles des intéressés.
Le patrimoine constitue la deuxième - et principale - explication. Selon l’enquête ERFS, le dixième le plus favorisé des ménages a perçu en revenus du patrimoine (nets de CSG, CRDS et prélèvements sociaux) 41 milliards d’euros (en valeur 2010) en 2005, et 56 milliards en 2010. Soit un surplus de 15 milliards. C’est essentiellement cette manne financière qui a permis à l’ensemble des membres de ce dixième argenté de connaître une augmentation de leur niveau de vie sans commune mesure avec le reste de la population. Le vent du boulet de la crise les a épargnés, alors qu’il a frappé de plein fouet les classes populaires.
Une autre leçon de ces calculs, sur laquelle je n’insisterai pas, relève plutôt de la philosophie. En effet, lorsqu’on demande aux gens combien, à leur avis, il leur faudrait pour vivre mieux et ne plus tirer le diable par la queue, la majorité des réponses donnent un chiffre compris entre 100 et 200 euros. C’est dans cette fourchette que se sont situés les gains de la « classe moyenne » entre 2005 et 2010 : + 106 euros par U.C., soit 165 € par ménage en moyenne. Certes, dans cette « classe moyenne », les uns ont perçu davantage et d’autres moins. Mais les écarts mesurés restent néanmoins dans la fourchette citée plus haut. Or, à en croire les enquêtes d’opinion, le ressenti de cette « classe moyenne » est bien différent, puisque prévaut fortement l’idée qu’elles ont été sacrifiées. On peut en tirer la conclusion, que beaucoup, de plus en plus tirent : le bien-être ne dépend pas de la croissance économique, mais d’un ensemble beaucoup plus diversifié de conditions : les conditions de travail, le chômage, la santé, des écoles de qualité, un logement correct. A fortiori, chez les riches, qui ont été les grands gagnants de cette demi-décennie, prévaut le sentiment du matraquage fiscal, et d’être les victimes d’une haine sociale suscitée par leur réussite. Refusant de voir que l’actuelle fiscalité, loin d’être punitive, vise à effacer des avantages fiscaux exorbitants et générateurs de conflits, ils soutiennent que taxer les riches, c’est décourager le dynamisme économique et la création de richesses. Holà, Messeigneurs, c’est vous faire beaucoup d’honneur : n’oubliez jamais que, entre 2005 et 2010, la croissance économique annuelle moyenne a été inférieure à 1 %, soit le rythme le plus bas jamais connu en cinq ans par l’économie française depuis la création des comptes nationaux. Si la dynamique de vos revenus était l’indice du dynamisme économique, cela se verrait …
[1] L’enquête de l’Insee ne porte que sur la France métropolitaine, et elle exclut les ménages dont la personne de référence est étudiante ou dont le revenu est nul. Tous les chiffres de niveau de vie sont exprimés en euros 2010.[2]Pour la conversion des euros de chaque année en euros 2010, les indices de prix à la consommation utilisés sont ceux que l’Insee calcule pour chaque dixième de revenu de la population.[3] Dans un ménage la première personne compte pour 1 U.C., les suivantes pour 0,5 U.C., sauf les enfants de moins de 14 ans (0,3 U.C.). Ces coefficients sont issus d’enquêtes de consommation qui mesurent le supplément de dépenses engendrées par une personne supplémentaire dans un ménage.[4] En moyenne, chaque ménage comprend 1,56 U.C.
Le graphique ci-dessous le montre.
Evolution du niveau de vie mensuel moyen entre 2005 et 2010 (en euros 2010)
Source : INSEE, enquêtes revenus fiscaux et sociaux, calculs de l’auteur
La progression a été d’autant plus forte que les personnes étaient plus riches : le dixième le plus pauvre a vu son niveau de vie progresser de 13 euros par mois, le vingtième le plus riche de la population l’a vu progresser de 654 euros : cinquante fois plus ! Le dixième le plus favorisé a capté à lui seul 40 % de la progression totale du niveau de vie, et le vingtième le plus riche 30 %On peut illustrer cela autrement, en distinguant quatre groupes sociaux : les classes populaires, qui regroupent les 40 % de la population dont le niveau de vie est inférieur à 1400 euros par mois (et par U.C.), les classes moyennes, qui regroupent les 50 % de la population dont le niveau de vie se situe entre 1400 et 3000 euros, les aisés, soit les 5 % de la population dont le niveau de vie se situe entre 3000 et 4000 euros, enfin, les riches, soit les 5 % de la population qui ont un niveau de vie supérieur à 4000 euros par mois et par U.C.[4]
Répartition de la progression des niveaux de vie entre 2005 et 2010 (en milliards d’euros 2010)
Il est clair que les gagnants de la partie sont les riches : ces 5 % de la population ont ramassé 30 % des gains. Et que les perdants sont les classes populaires, qui, bien qu’elles comptent 40 % de la population, ont dû se contenter de 11 % des gains. En revanche, les classes moyennes (50 % de la population) ont relativement bien tiré leur épingle du jeu (50 % des gains) : elles ne sont pas les victimes que certains de ses représentants estiment être.L’explication de cette déformation de la répartition en faveur des nantis est simple. Elle tient en deux mots : impôts et patrimoine. Malheureusement, les informations disponibles sur ces deux points ne permettent pas d’isoler les « riches » des « aisés ». On s’intéressera donc au dixième le plus favorisé, dont les gains ont atteint près de 22 milliards. Mais on peut estimer que, dans les chiffres qui suivent, comme dans les gains de niveau de vie, les « riches » ont capté au moins les trois quarts des montants indiqués.
Impôts, d’abord. En 2005, l’impôt sur le revenu absorbait 17,2 % du revenu imposable des personnes faisant partie du dixième le mieux loti. En 2009 (et sans doute en 2010), ce taux d’effort n’était plus que de 13,5 %, selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la progressivité des prélèvements sur les ménages. Mais il est vrai que, en 2010, les prélèvements sociaux sur ce type de revenus ont augmenté. Reste que le dixième le plus favorisé a ainsi économisé environ 4 milliards qui, au lieu d’atterrir dans la poche du fisc, sont restés dans celles des intéressés.
Le patrimoine constitue la deuxième - et principale - explication. Selon l’enquête ERFS, le dixième le plus favorisé des ménages a perçu en revenus du patrimoine (nets de CSG, CRDS et prélèvements sociaux) 41 milliards d’euros (en valeur 2010) en 2005, et 56 milliards en 2010. Soit un surplus de 15 milliards. C’est essentiellement cette manne financière qui a permis à l’ensemble des membres de ce dixième argenté de connaître une augmentation de leur niveau de vie sans commune mesure avec le reste de la population. Le vent du boulet de la crise les a épargnés, alors qu’il a frappé de plein fouet les classes populaires.
Une autre leçon de ces calculs, sur laquelle je n’insisterai pas, relève plutôt de la philosophie. En effet, lorsqu’on demande aux gens combien, à leur avis, il leur faudrait pour vivre mieux et ne plus tirer le diable par la queue, la majorité des réponses donnent un chiffre compris entre 100 et 200 euros. C’est dans cette fourchette que se sont situés les gains de la « classe moyenne » entre 2005 et 2010 : + 106 euros par U.C., soit 165 € par ménage en moyenne. Certes, dans cette « classe moyenne », les uns ont perçu davantage et d’autres moins. Mais les écarts mesurés restent néanmoins dans la fourchette citée plus haut. Or, à en croire les enquêtes d’opinion, le ressenti de cette « classe moyenne » est bien différent, puisque prévaut fortement l’idée qu’elles ont été sacrifiées. On peut en tirer la conclusion, que beaucoup, de plus en plus tirent : le bien-être ne dépend pas de la croissance économique, mais d’un ensemble beaucoup plus diversifié de conditions : les conditions de travail, le chômage, la santé, des écoles de qualité, un logement correct. A fortiori, chez les riches, qui ont été les grands gagnants de cette demi-décennie, prévaut le sentiment du matraquage fiscal, et d’être les victimes d’une haine sociale suscitée par leur réussite. Refusant de voir que l’actuelle fiscalité, loin d’être punitive, vise à effacer des avantages fiscaux exorbitants et générateurs de conflits, ils soutiennent que taxer les riches, c’est décourager le dynamisme économique et la création de richesses. Holà, Messeigneurs, c’est vous faire beaucoup d’honneur : n’oubliez jamais que, entre 2005 et 2010, la croissance économique annuelle moyenne a été inférieure à 1 %, soit le rythme le plus bas jamais connu en cinq ans par l’économie française depuis la création des comptes nationaux. Si la dynamique de vos revenus était l’indice du dynamisme économique, cela se verrait …
[1] L’enquête de l’Insee ne porte que sur la France métropolitaine, et elle exclut les ménages dont la personne de référence est étudiante ou dont le revenu est nul. Tous les chiffres de niveau de vie sont exprimés en euros 2010.[2]Pour la conversion des euros de chaque année en euros 2010, les indices de prix à la consommation utilisés sont ceux que l’Insee calcule pour chaque dixième de revenu de la population.[3] Dans un ménage la première personne compte pour 1 U.C., les suivantes pour 0,5 U.C., sauf les enfants de moins de 14 ans (0,3 U.C.). Ces coefficients sont issus d’enquêtes de consommation qui mesurent le supplément de dépenses engendrées par une personne supplémentaire dans un ménage.[4] En moyenne, chaque ménage comprend 1,56 U.C.
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