jeudi 22 août 2013

Obama ou la guerre froide pour les nuls

(Marianne)

Pour justifier l’annulation de sa rencontre avec Vladimir Poutine, Barack Obama accuse la Russie de retour à l’esprit de la « guerre froide ». Le Président américain devrait réviser ses classiques.


Obama, Poutine - Evan Vucci/AP/SIPA
Obama, Poutine - Evan Vucci/AP/SIPA
Barack Obama est en train de s’atteler à un exercice toujours délicat : la réécriture de l’histoire. A preuve sa décision de boycotter le sommet bilatéral américano-soviétique, prévu de longue date, et de ne pas rencontrer Vladimir Poutine, qu’il retrouvera cependant lors du sommet du G 20.

Et pourquoi donc, Votre Honneur ? A cause de l’asile politique temporaire accordé par la Russie à Snowden, l’ex agent américain ayant révélé quelques unes des frasques de ses supérieurs, emportés par leur folie inquisitoriale. Le président américain y voit le signe extérieur du vent de « guerre froide » qui soufflerait de nouveau sur les plaines de Sibérie.

C’est le monde à l’envers. Le scandale Snowden, que l’on sache, ne vient pas de son atterrissage à Moscou, mais de ce qu’il a révélé des pratiques de l’Empire américain. Le scandale Snowden, ce n’est pas sa fuite (obligatoire), mais l’ampleur des dérives d’un pays souvent présenté comme un modèle de démocratie.

Il faut donc remettre les choses à l’endroit. C’est un peu comme si, du temps de l’URSS, Moscou avait demandé des comptes à Washington sous prétexte que Soljenitsyne, auteur de « L’Archipel du goulag », s’était réfugié aux Etats-Unis. A l’époque, fort justement, on sommait les dirigeants de feu l’Union Soviétique de réviser leurs pratiques plutôt que de faire la leçon au monde entier. Aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, c’est à la Maison Blanche de s’expliquer et non l’inverse. 

Or chacun fait comme si la Russie était toujours l’URSS ; comme si Poutine, qui n’a rien d’un enfant de chœur (c’est un euphémisme) était Staline ; comme si l’Amérique, quoi qu’elle dise et quoi qu’elle fasse, portait forcément la voix de la Raison, de la Liberté, de la Justice.

On est désolé d’avoir à le rappeler mais on n’est plus au temps de la guerre froide, avec les Bons et les Méchants revenant en boucle sur les écrans du monde entier. L’affaire Snowden est dévastatrice non pour Poutine mais pour Obama, contraint de couvrir des méthodes d’espionnage généralisé dignes de l’URSS. Et pourquoi le président russe n’exigerait-il pas de son homologue américain la fermeture de la prison de Guantanamo, ce Goulag tropical, comme préalable à toute rencontre éventuelle ?   

Sans doute est-ce désagréable pour la Maison Blanche de voir les défenseurs de la liberté passer de l’Ouest à l’Est, alors qu’ils effectuaient naguère le trajet inverse. Mais en l’occurrence, personne n’a laissé le choix à Snowden. Le procès auquel a été soumis le soldat Bradley Manning aux Etats-Unis à la suite des révélations de Wikileaks n’incitera sans doute pas l’ex-employé de la NSA à rentrer au pays d’ici peu. Il sait trop à quel régime il y serait soumis.
Par parenthèses, on peut s’interroger sur le silence de nos habituels défenseurs des droits de l’homme sur le sujet. Sont-ils donc tous en vacances ou à l’exposition de BHL à Saint-Paul-de-Vence?   

Il serait temps de sortir des jugements à l’emporte-pièce et des raccourcis rapides qui fleurissent dans une presse ayant conservé les bons réflexes de la guerre froide (la vraie). Barack Obama a beau s’agiter sur sa chaise et tenter de redorer un blason défraîchi par les récents scandales, c’est lui qui rame pour remonter le courant face à une opinion qui lui demande des comptes, et face à des Républicains qui rêvent toujours de lui faire la peau, politiquement parlant.
Il n’y a pas d’autre explication possible à la campagne soudaine contre les risques de terrorisme.

Celle-ci est uniquement de destinée à refaire une virginité aux services d’espionnage américains après le scandale de la NSA, l’agence de l’ombre. Certes, des attentats sont toujours à redouter, aujourd’hui comme hier, mais ni plus ni moins. La foucade anti-Poutine du président américain répond à la même logique, assez pitoyable il faut bien le dire.

Quand on est en difficulté face à ses ennemis de l’intérieur, il est toujours tentant de désigner des ennemis présumés de l’extérieur. Mais nul n’est obligé de tomber dans le piège.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire