jeudi 25 octobre 2012

Lutter contre le néo-libéralisme - Comment mettre fin à l’exil fiscal


Par Par Salim Lamrani

Le souhait de magnat français Bernard Arnaud d’acquérir la nationalité belge a relancé le débat sur l’exil fiscal et le refus des gros patrimoines de s’acquitter de leur devoir tributaire. Pourtant, il existe une solution simple et efficace pour mettre fin à l’évasion fiscale légale.

Bernard Arnaud, première fortune européenne et quatrième fortune mondiale avec 40 milliards d’euros, dont le salaire annuel s’élève à 10 millions d’euros et dont les placements lui rapportent chaque année 200 millions d’euros, a effectué une demande de naturalisation afin d’obtenir la nationalité belge1 . D’aucuns soupçonnent l’homme le plus riche de France de vouloir échapper ainsi à son devoir de citoyen, comme plusieurs dizaines de milliers d’exilés fiscaux qui ont choisi de s’installer dans des pays étrangers tels que la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni ou autre, qui offrent des avantages non négligeables pour les plus aisés2 .
Entre 1988 et 2006, 0,01% des Français les plus riches, environ 3 500 foyers fiscaux, ont vu leur revenu réel augmenter de 42%. En guise de comparaison, sur la même période, les 90% les moins aisés ont bénéficié seulement d’une hausse de 4,6%3 . Ainsi, l’évasion fiscale légale et illégale coûte chaque année 50 milliards d’euros à l’Etat français. Avec une telle somme, 500 000 logements sociaux à 100 000 euros pourraient être construits chaque année, ou bien on pourrait créer plus de 1,5 millions de postes dans l’éducation, la santé, le social ou la culture.
En Suisse, dans certains cantons, les résidents étrangers ne sont pas imposés sur leurs revenus et leur patrimoine, mais uniquement sur leur train de vie, ce qui rend ses territoires très attractifs pour les plus fortunés. Dans ce pays, où résident près de 2000 exilés fiscaux français, les 43 familles les plus aisées cumulent à elles seules une fortune de 36,5 milliards d’euros4 .
Pour répondre à la problématique de l’exil fiscal, l’argument dominant en France, défendu par les milieux économiques, la droite et une certaine partie du centre-gauche, consiste à préconiser une baisse du taux d’imposition pour les catégories les plus aisées. D’ailleurs, dès son élection en 2007, l’ancien président Nicolas Sarkozy avait fait adopter le bouclier fiscal – dispositif tributaire selon lequel les revenus d’un contribuable ne peuvent pas être taxés à plus de 50%5 .
Pourtant, il existe un mécanisme applicable et efficace pour mettre un terme à l’évasion fiscale légale. Actuellement, l’imposition est liée au lieu de résidence. Ainsi, un exilé fiscal français qui choisit de vivre plus de six mois par an en Suisse devient automatiquement un contribuable suisse et bénéficie ainsi de sa législation avantageuse. Il en est de même pour le ressortissant français qui s’installerait au Luxembourg, au Royaume-Uni ou en Belgique.
Pour mettre un terme à cette dérive qui prive l’Etat français, et donc les citoyens, de ressources conséquentes, il suffirait simplement de lier l’imposition à la nationalité et non pas au lieu de résidence, et d’appliquer une taxation différentielle. Ce dispositif mettrait automatiquement un terme à ce fléau. Ainsi, un contribuable français réfugié en Suisse qui ne serait imposé qu’à hauteur de 35% dans son nouveau lieu de résidence, au lieu de 41% en France par exemple, serait légalement contraint de payer la différence à l’Etat français, c’est-à-dire 6%, rendant ainsi inutile toute expatriation pour des raisons d’ordre fiscal.
Cette pratique existe déjà dans des pays tels que les Etats-Unis. Les citoyens étasuniens installés à l’étranger payent exactement le même montant d’impôts que leurs compatriotes restés sur le territoire national, et sont taxés à raison de leurs revenus mondiaux. D’un point de vue technique, tous les pays du monde remettent chaque année au Département du Trésor une liste des ressortissants étasuniens établis chez eux. Ainsi, l’exil fiscal n’est plus possible, la seule alternative pour échapper à l’impôt étant l’évasion fiscale illégale.
Pour contrer ce type de délit, le Congrès étasunien a adopté une loi qui permet à toute personne – en particulier les employés des grandes banques – qui fournirait des informations sur des cas de fraude fiscale d’obtenir jusqu’à 30% des sommes récupérées par l’Etat. Ainsi, Bradley Birkenfeld, ancien employé de la banque suisse UBS, s’est vu remettre la somme de 104 millions de dollars pour avoir livré des informations « exceptionnelles à la fois par leur ampleur et leur étendue », sur les délits d’évasion fiscale commis par les clients étasuniens de la Banque. Cette information a permis au fisc étasunien de récupérer une somme de cinq milliards de dollars et d’obtenir la liste de tous les fraudeurs ayant un compte bancaire chez UBS6 .
La France et l’ensemble des nations européennes et du monde seraient bien avisées d’adopter un modèle tributaire qui permettrait d’appliquer une taxation différentielle, en liant l’imposition à la nationalité et non au simple lieu de résidence. De la même manière, pour lutter contre l’évasion fiscale illégale, qui constitue une  spoliation caractérisée de la richesse nationale et citoyenne, les délinquants en col blanc doivent être plus sévèrement sanctionnés, à la hauteur du préjudice causé. Les plus fortunés devront alors faire un choix : leur nationalité et leur argent.

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