Plongée au sein de la banque responsable de la crise des subprimes. Sur Arte à 20h50.
Du gratte-ciel qui émerge de la brume, rien ne filtre, si ce n’est l’image d’une forteresse invincible. Telle est Goldman Sachs, la banque la plus influente du monde. Entourée d’un impénétrable secret, et surpuissante. La forteresse n’ouvre guère ses portes aux journalistes. Encore moins à ceux qui, comme Marc Roche, chroniqueur financier au « Monde », et Jérôme Fritel, grand reporter, veulent lui régler son compte. Car, dans ce document exceptionnel construit autour de témoignages de banquiers, anciens de Goldman Sachs y compris, les deux auteurs ne se contentent pas d’égrener un à un les scandales qui ont émaillé la vie de la banque. Ils s’interrogent aussi sur leur issue. Sur les salaires et bonus indécents ou les abandons de poursuites judiciaires qui ponctuent ces affaires. Digne d’un thriller, le récit n’oublie jamais le fi l rouge qui le sous-tend : l’injustice. Et cette question : pourquoi Goldman Sachs jouit-elle d’une telle impunité ?
Goldman Sachs a toujours eu un statut à part. « Elle était pour nous la référence absolue. Nous voulions tous lui ressembler », raconte un ancien banquier. Elle incarnait l’excellence. Le zèle. Le secret. « C’était comme entrer chez les jésuites », souligne un autre. Pourtant cette époque, celle des « moines banquiers », ne dure pas. Dès les années 1990, la banque découvre les petits génies des maths. Elle veut recruter les meilleurs. Et n’hésite plus à passer la ligne jaune. A savoir tromper ses clients. Elle parie à la baisse sur des produits immobiliers à risque (subprimes) tout en les incitant à investir dedans. C’est le scandale Abacus. Une dérive spéculative qui conduira la banque allemande IKB à la faillite.
Cette fois, Goldman Sachs s’en sort en sacrifiant l’une de ses plus brillantes recrues : le jeune centralien français Fabrice Tourre. Arrogant, riche, « Fab le Fabuleux », comme il se surnomme lui-même, aura toutefois omis une chose : effacer les traces compromettantes. Des mails échangés avec sa petite amie, dans lesquels il ironisait sur les « pauvres petits emprunteurs peu solvables » qui ne « vont pas faire de vieux os ». Goldman Sachs se chargera de livrer cette correspondance à la presse. En poussant le vice jusqu’à la traduire… Fabrice Tourre est à ce jour le seul employé de la banque poursuivi en justice. Goldman Sachs, elle, solde l’affaire en réglant 550 millions de dollars aux autorités américaines.
En septembre 2008, l’opinion publique découvre un autre visage de la banque : celui de Hank Paulson. Exprésident de Goldman Sachs, l’homme incarne à merveille la collusion de la banque avec le monde politique. Devenu ministre des Finances de George Bush, il refusera de sauver de la faillite Lehman Brothers, une banque rivale de Goldman Sachs, avant de renflouer quelques semaines plus tard l’assureur AIG qui aurait pu emporter avec lui dans sa chute la fameuse… Goldman Sachs. Sommé de s’expliquer sur ce conflit d’intérêts devant les élus du Congrès américain, Paulson ne sera jamais inquiété par les juges.
L’arrivée de Barack Obama au pouvoir, en 2009, ne parviendra pas à faire dérailler cette belle mécanique. Les auteurs montrent habilement comment, en quelques mois, la « pieuvre », autre surnom de la banque, aura repris le dessus et placé ses hommes aux postes-clés de la Maison-Blanche, du Congrès et des grandes institutions internationales. Cette fois encore, Goldman Sachs l’emporte. Lloyd Blankfein, son patron, est couronné homme de l’année par le « Financial Times ». Il empoche, cette année-là, 7 millions d’euros de bonus.
Le scénario se répète. En Europe. Avec des proies plus importantes : les pays de la zone euro. Dès 2003, le journaliste Nick Dunbar révèle les dessous d’un marché passé entre la banque et la Grèce en vue d’aider ce pays à maquiller ses comptes. Un scoop que Bruxelles a préféré ignorer. « Goldman Sachs a agi tel un courtier qui vous donne 2 dollars pour 1 euro au lieu d’un seul, et qui, en échange, vous demande de garder le silence et vous assure que vous pourrez rembourser plus tard », explique -t-il. Ce deal qui a contribué à creuser la dette du pays, en lui faisant payer des taux d’intérêt plus élevés que le marché, ne sera toutefois pas jugé illégal par les instances européennes.
Cette fois encore, la banque passe entre les mailles du filet. Elle peut, sans encombre, continuer de tisser sa toile, sur le Vieux Continent comme aux Etats-Unis. Et recycler ses anciens employés au sein des grandes institutions européennes. L’un des plus éminents d’entre eux n’est autre que Mario Draghi, le patron de la Banque centrale européenne… Les Etats n’ont-ils pas une fois pour toutes abdiqué face à cette banque qui n’est autre qu’une des responsables de la crise européenne ? Le mot de la fi n revient à Nick Dunbar. Et il fait froid dans le dos. « Goldman Sachs me fait penser à ces animaux dominants aussi effrayants qu’exceptionnels que sont les requins, les guêpes, qui ont survécu aux météorites, à une extinction massive », conclut-il. Pour l’heure, les faits lui donnent raison.
Marjorie Cessac
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire