mercredi 6 juillet 2011

DIX MOIS APRÈS

Nous étions des millions. Par flots croissants, de septembre à novembre, nous marchions dans les rues pour crier notre colère, notre refus de voir les retraites sacrifiées sur l'autel de la finance. Face à un gouvernement qui ne voulait rien entendre ni savoir, soucieux de remettre en selle les banques et les grands groupes économiques – la fameuse bande du Fouquet's – au détriment du niveau de vie du plus grand nombre.
Par millions, nous formions les premiers Indignés de l'Europe, et sans le savoir, nous annoncions le printemps arabe avant l'embrasement tunisien. L'opinion soutenait ces cohortes tranquilles qui arpentaient le bitume en démontrant que la citoyenneté, la vraie, consiste à prendre son destin en mains, à penser et à agir collectif, voire quand il le faut, à faire irruption sur la scène politique pour en devenir les protagonistes. Nous étions dans la lignée des Sans Culottes et des Communards, aux avant-postes d'une République à remettre debout. C'était il y a dix mois – ou il y a dix ans, tant cet épisode semble étranger à ce que nous vivons actuellement. Avons-nous été trop timides, avons-nous pêché par irrésolution ? Faute d'une orientation claire, faute d'un programme traçant le contour d'une alternative, le mouvement a finalement reflué devant un Sarkozy qui avait pourtant un genou à terre. Aujourd'hui, changement de décor… La France se dirige vers « la mère de toutes les élections » comme si rien ne s'était passé, comme si l'abstention massive aux européennes, aux régionales et aux cantonales ne témoignait pas de l'épuisement du régime en place depuis 1958. Le débat politique ? Pratiquement absent et remplacé, de scoop en édition spéciale, par un feuilleton hallucinant mettant en scène l'ex-grand homme du PS. A-t-il ou n'a-t-il pas violé l'une, agressé l'autre, a-t-il mangé des pâtes aux truffes, sortira-t-il ce soir ? Sur un mode mineur, on peut aussi s'intéresser au goût immodéré de Monsieur Tron pour les petits petons… Pendant cela, la Grèce sombre, l'Espagne et le Portugal lui emboitent le pas, toute l'Europe gémit… En France, les prix sont à la hausse, tout comme le chômage.
Le nombre de candidats à l'élection présidentielle aussi est en hausse. Épargnons-nous de les recenser. Les socialistes ont vu éclore dans leurs rangs tellement d'ambitions – « tellement de talents », disent-ils – qu'ils se sont vus dans l'obligation d'organiser des primaires pour les départager (voir les excellentes remarques de Rémi Lefebvre en p.2).  Car depuis des lustres, la gauche s'est ralliée à l'idée selon laquelle la France a besoin d'un sauveur suprême pour guider ses pas dans un monde tourmenté. Alors que la menace d'une rechute plus grave que la crise de 2007-2008 plane sur nos têtes et que l'avenir de l'Europe n'a jamais été aussi incertain ; alors que les marchés financiers et leurs relais (gouvernements, FMI, commission de Bruxelles) exercent une formidable pression pour que privatisations, démantèlement des acquis sociaux et des services publics, recul du pouvoir d'achat s'imposent en règle sur tout le Vieux continent, le « Château » élyséen, reconquis par la gauche, serait assez fort pour faire face à ce qui vient ! Autant reconnaître que l'on capitulera avant de se battre, comme en 1983 lorsque s'ouvrit la fameuse parenthèse de la rigueur… Nous n'avons de cesse dans ces colonnes de fustiger les institutions bonapartistes de la Vème République et d'appeler de nos vœux l'avènement d'une VIème, qui ferait de l'Assemblée Nationale le centre de gravité du nouveau régime et placerait le Gouvernement sous le contrôle permanent de celle-ci. Mais nous ne pensons pas un seul instant que cette rupture institutionnelle suffirait à garantir un changement de cap politique. Il faut impérativement démocratiser notre vie publique pour que les citoyens soient associés à la prise de décisions et à la transformation du pays. Sans mobilisation massive de notre peuple, il n'y aura pas de changement durable. Hélas, ce discours n'est pour l'instant tenu par aucun candidat à la présidentielle. Pourtant, quel formidable contrepied au système consisterait à s'engager, une fois élu et sans délai, à mettre en route une révision constitutionnelle qui rendrait le pouvoir à la représentation nationale et inventerait une authentique démocratie. C'est cette clarté que nous attendons de Jean-Luc Mélenchon – sans encore la déceler… Car nous sommes des millions à vouloir former les bataillons du changement, comme il y a dix mois. Alors de l'audace, encore de l'audace, l'époque n'est pas aux atermoiements. 

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