vendredi 20 mai 2011

Les Animaux malades de la peste


L'actualité du jour me fais penser à ceci

Un mal qui répand la terreur, 
Mal que le Ciel en sa fureur 
Inventa pour punir les crimes de la terre, 
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) 
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, 
Faisait aux animaux la guerre. 
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : 
On n'en voyait point d'occupés 
A chercher le soutien d'une mourante vie ; 
Nul mets n'excitait leur envie ; 
Ni Loups ni Renards n'épiaient 
La douce et l'innocente proie. 
Les Tourterelles se fuyaient : 
Plus d'amour, partant plus de joie. 
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, 
Je crois que le Ciel a permis 
Pour nos péchés cette infortune ; 
Que le plus coupable de nous 
Se sacrifie aux traits du céleste courroux, 
Peut-être il obtiendra la guérison commune. 
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents 
On fait de pareils dévouements : 
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence 
L'état de notre conscience. 
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons 
J'ai dévoré force moutons. 
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : 
Même il m'est arrivé quelquefois de manger 
Le Berger. 
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense 
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : 
Car on doit souhaiter selon toute justice 
Que le plus coupable périsse. 
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; 
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; 
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, 
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur 
En les croquant beaucoup d'honneur. 
Et quant au Berger l'on peut dire 
Qu'il était digne de tous maux, 
Etant de ces gens-là qui sur les animaux 
Se font un chimérique empire. 
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. 
On n'osa trop approfondir 
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, 
Les moins pardonnables offenses. 
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, 
Au dire de chacun, étaient de petits saints. 
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance 
Qu'en un pré de Moines passant, 
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense 
Quelque diable aussi me poussant, 
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. 
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. 
A ces mots on cria haro sur le baudet. 
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue 
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, 
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. 
Sa peccadille fut jugée un cas pendable. 
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! 
Rien que la mort n'était capable 
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. 
Selon que vous serez puissant ou misérable, 
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. 



Jean de la Fontaine

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